Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

forces populaires, cette société-là ne fait pas des guerres de magnificence tempérées de courtoisie, elle n'attend pas, immobile et sous le bouclier, les coups de l'adversaire ; elle a en elle tant de force de mouvement qu'elle se défend nécessairement par des effets de masse, par des concentrations rapides de forces, par des offensives hardies. Le génie de Napoléon, c'est d'avoir mis de l'ordre, la précision d'une volonté réfléchie et méthodique, dans ce que la vie révolutionnaire effervescente avait créé par l'instinct, en des formes moins nettes, moins ramassées et, par conséquent, moins vigoureuses. C'est donc la loi militaire de la société nouvelle et qui durera autant qu'elle. Les changements de la technique, les moyens nouveaux de combat n'agissent qu'à peine sur les règles essentielles de la guerre déterminées par les grandes formes sociales. Des fusils et des canons maniés par les soldats de Louis XV aux fusils et aux canons maniés par les soldats de Dumouriez et de Bonaparte, la différence est faible, ou même nulle si on la compare à l'immense révolution accomplie dans la stratégie et dans la tactique. C'est un monde nouveau de forces humaines qui a surgi. De même, les formes gouvernementales particulières que revêt cette société nouvelle n'atteignent pas son fond, n'atteignent pas le fond de la science militaire. Bonapartisme, orléanisme, république bourgeoise, république populaire, c'est la même démocratie révolutionnaire qui se continue sous des vêtements variés, plus étroits ou plus larges, plus éclatants ou plus ternes. Et ce changement d'uniforme gouvernemental n'altère pas plus la permanente tactique nécessaire que le changement d'uniforme guerrier ne l'altère en effet.

Ainsi, accepter dans l'esprit où la proposait Gilbert la méthode napoléonienne, c'était proclamer que l'armée était fille des temps nouveaux ; c'était reconnaître que l'ancienne monarchie de droit divin et tout l'ordre social dont elle était la formule n'avaient plus, malgré leur gloire, le secret de la victoire et de la vie ; c'était donc s'affranchir des formes de pensée et de croyance surannées, ou du moins