Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/83

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si modestes et si sobres du sage Turenne pour respirer un air vif et ardent. Ce n'est pas du tout une démarche prudente et pesante et comme un jeu d'échecs de calculateurs patients ; c'est une perpétuelle improvisation de manœuvres hardies, où le courage des chefs, se dépensant lui-même, dépense aussi le sang de ses soldats. Devant Fribourg, malgré la forte position qu'occupent les impériaux menés par Mercy, Condé brusque l'attaque. L'infanterie de Turenne qui gravit la montagne est prise d'une panique ; il casse les deux enseignes qui ont fléchi ; et alors ce sont les postes d'avant-garde qui, par bravade sans doute, engagent témérairement le combat dans les conditions les plus dangereuses. La lutte se poursuit tout le jour et toute la nuit :

Les deux armées demeurèrent ainsi l'une devant l'autre, les Bavarois n'osant pas venir aux mains contre les régiments qui les attendaient avec leurs piques, et les Français n'osant entrer plus avant dans la plaine, n'ayant point de cavalerie pour les soutenir. On combattit de cette façon plus de deux heures pendant la nuit avec grande perte de côté et d'autre. L'infanterie du roi avait derrière elle le bois qui donnait un grand prétexte à se retirer ; mais elle ne s'affaiblit point. La nuit ne fit point cesser le combat et les troupes, de part et d'autre, demeurèrent avec un feu continuel à la distance de quarante pas jusqu'au jour pendant plus de sept heures. En cet endroit, il périt de l'armée du roi près de 1 500 hommes.

Un tiers de l'infanterie. C'est, pour une petite armée comme était celle de ce temps, une perte énorme, et qui atteste de part et d'autre un singulier acharnement. Bien que cette armée soit « rebutée » de ce combat si meurtrier, Turenne l'emmène tout de suite à une opération hardie. Par le Rhin, il fait descendre provisions et munitions, et il va, d'une marche soudaine, assiéger Philippsbourg, emporter Mayence et Worms. Il savait bien et il disait que, selon le mot de César : « La diligence et l'expédition étaient la maîtresse partie de la guerre. ». Peu après, il passait hardiment en Wurtemberg, jusqu'en Franconie. Il se laissait surprendre pour avoir permis à sa cavalerie de se disséminer