Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

procédé, eux, à une expertise d’écritures ; c’est comme graphologues qu’ils ont étudié le bordereau.

MM. Charavay et Teyssonnières ont conclu qu’il devait être attribué à Dreyfus. MM. Gobert et Pelletier ont conclu qu’il ne pouvait pas être attribué à Dreyfus : deux contre deux.

Mais quoique leurs conclusions fussent opposées, leur travail était du même ordre. C’était une expertise d’écriture et rien que cela.

La méthode de M. Bertillon, quelle qu’en soit la valeur, était donc d’une tout autre nature et son travail était hors cadre.

Or, de ce fait si important, il n’y a pas trace dans l’acte d’accusation. Voici le passage qui concerne M. Bertillon

M. Bertillon, chef du service de l’identité judiciaire, chargé aussi d’un premier examen, avait formulé le 13 octobre 1894 ses conclusions comme suit : « Si l’on écarte l’hypothèse d’un document forgé avec soin, il appert maintenant que c’est la même personne qui a écrit la lettre et les pièces incriminées. »

Dans son rapport du 23 du même mois, établi après un examen plus approfondi et portant sur un plus grand nombre de pièces, M. Bertillon a formulé les conclusions suivantes qui sont beaucoup plus affirmatives : « La preuve est faite, péremptoire ; vous savez quelle était mon opinion du premier jour, elle est maintenant absolue, complète, sans réserve aucune. »

Je défie qu’on puisse démêler dans ces lignes qu’il y a un abîme entre la méthode de M. Bertillon et une expertise d’écritures.

Évidemment si les enquêteurs y avaient pris garde, s’ils s’en étaient rendu compte, il y aurait un mot là-dessus dans l’acte d’accusation. Mais non : le rapport Bertillon est traité comme un simple rapport d’expertise : il vient s’ajouter aux autres rapports d’experts ; il est clair que les enquêteurs demandaient simplement aux experts : « Concluez-vous contre Dreyfus ? ― Oui. ― C’est bien ; »