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III

Mais que penser de l’autorité militaire qui, au procès Esterhazy, ne l’a pas une minute interrogé sur ce scandaleux roman ?

Le premier devoir du Conseil de guerre était de dire à Esterhazy : « Vous avouez que l’écriture du bordereau est identique à la vôtre ; vous avouez en tout cas que l’identité, pour certains mots, est si évidente qu’elle ne peut s’expliquer que par un décalque. Comment expliquez-vous alors que Dreyfus, au moment du procès, ne vous ait pas mis en cause ? »

Cette question n’est pas venue aux juges. Ils ont paru trouver tout simple, comme Esterhazy lui-même, que Dreyfus ait forgé ce moyen de défense afin de ne pas s’en servir. Et ils ont pensé sans doute qu’éblouie par les galons et les chamarrures des généraux, trompée et abêtie par la presse de mensonges, la pensée française ne serait pas choquée de cette absurdité.

Et, en effet, elle n’a pas été révoltée. Vraiment, il faut pleurer de honte sur notre pays, pleurer de douleur et de colère. Voilà ce que les « nationalistes », complices du traître Esterhazy, ont fait du bon sens, notre vertu nationale. Ils ont réussi un moment à faire accepter à ce peuple des mensonges grossiers qui, en d’autres temps, auraient soulevé sa raison comme un vomitif soulève le cœur.

Pourtant, non ! cela ne passera pas. Le peuple rejettera cette mixture de mensonges imbéciles. Il est clair que si Esterhazy, affolé, est obligé d’avouer, dès le 15 novembre 1897, avant même d’être dénoncé, que le bordereau est de son écriture, c’est qu’il est de sa main.

Il est clair que la supposition d’un décalque d’Esterhazy, fait par Dreyfus, ne se soutient pas ; et que le premier soin de Dreyfus eût été de nommer Esterhazy au procès s’il l’avait en effet décalqué.