Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/183

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firmerait mes conclusions d’une manière éclatante, cependant il y a une petite chance d’erreur.

Je ne veux pas le faire, surtout parce que je crois qu’une expertise d’écritures peut bien servir à corroborer des soupçons, à diriger des recherches, à conduire, comme c’est le cas ici, jusqu’à la conviction morale, mais qu’elle ne peut pas produire, à elle seule, la certitude absolue qui, à mon avis, est nécessaire pour asseoir son jugement.

Le scrupule, scientifique et humain, qui a dicté ces dernières paroles de M. Giry, bien loin d’affaiblir ses affirmations essentielles ; en accroît au contraire la valeur morale et l’autorité. On sent que ce n’est pas à la légère qu’un tel homme affirme l’impossibilité matérielle et absolue du calque, l’identité absolue de l’écriture du bordereau et de l’écriture d’Esterhazy.

Et ces dernières paroles sont surtout un blâme à l’État-Major qui tient enfermé le bordereau, pour ne pas perdre la suprême argutie par laquelle il essaie en vain d’amoindrir le témoignage des hommes de science. Elles sont aussi une leçon sévère pour les juges qui n’ont pas craint de condamner Dreyfus sans autre preuve légale et contradictoirement discutée qu’une expertise d’écriture où les experts s’étaient partagés en deux camps.

Mais qui donc, en résumé, ne serait pas frappé par l’ensemble de témoignages si nets, si affirmatifs, si concordants, si puissamment motivés que des hommes d’étude, exercés à la critique des écritures et des textes, ont produit publiquement, contre le gré du pouvoir dont ils relèvent, sans autre intérêt que celui d’éclairer la conscience française et de sauver l’honneur de notre pays ?


VI

Ainsi, dans l’étude du bordereau, nous sommes arrivés enfin à la vérité, à la lumière après une longue route, et en trois étapes.