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VII

Aussi bien le général Billot croyait-il peut-être de son intérêt d’être trompé.

Mais maintenant que les faux d’Henry sont découverts, maintenant que ceux de du Paty sont démontrés, maintenant qu’il est reconnu de tous que la fable de la Dame voilée a été concertée par du Paty et Esterhazy pour duper le ministre et égarer les juges, il faut quelque audace aux nationalistes et aux cléricaux pour soutenir que le procès Dreyfus est intact.

Ils ont vraiment le génie de la disjonction : ils ne voient pas ou ils n’avouent pas les connexités les plus évidentes.

Dreyfus est condamné sur le bordereau ; plus tard, quand il est établi que le bordereau est d’Esterhazy, nos bons nationalistes disent : « C’est possible, mais cela n’a aucun rapport avec l’affaire Dreyfus. »

Puis, il est établi que le colonel Henry, qui fut contre Dreyfus le principal témoin à charge, est un faussaire et un scélérat. Ils disent : « C’est possible ; mais c’est l’affaire Henry ; cela n’a aucun rapport avec l’affaire Dreyfus. »

Et encore il est prouvé que l’enquêteur et meneur du procès Dreyfus, du Paty, est un faussaire, une sorte de feuilletonniste niais et malfaisant ; ils disent : « C’est possible ; mais c’est l’affaire du Paty ; cela n’a aucun rapport avec l’affaire Dreyfus. »

Ils affectent même, à chaque découverte nouvelle qui ruine le fondement même du procès Dreyfus, de se réjouir et de triompher. À la bonne heure, murmurent-ils : voilà le procès qui s’épure de tous ses éléments parasites, de toutes ses dépendances suspectes ; c’est « la liquidation » de toutes les affaires accessoires et latérales : l’affaire centrale, dominante, va se dresser dans sa rectitude et sa force, comme un monument dégagé des masures qui le souillaient et le masquaient.