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IV

Mais ils n’échapperont pas par le silence et l’oubli aux responsabilités qu’ils ont encourues. Et il faudra bien que, devant le peuple qu’il a berné, M. Rochefort s’explique.

De deux choses l’une. Ou bien M. Rochefort a inventé de toutes pièces la lettre de l’empereur Guillaume, ou bien en effet, comme il le dit, c’est par une « haute personnalité militaire », par l’État-Major qu’il en a appris l’existence.

Dans le premier cas, M. Rochefort a commis le crime le plus abject. Il a, pour accabler un innocent et pour sauver les grands chefs réactionnaires compromis, jeté au public un mensonge. Il a tenté d’affoler le patriotisme du peuple en mettant en cause, par un document faux, l’empereur Guillaume. Il donnait ainsi à ce dernier le beau rôle devant le monde, et si une émotion populaire avait suivi les révélations mensongères de l’Intransigeant, si de ce mouvement populaire une complication diplomatique était sortie, Guillaume avait beau jeu pour accabler la France dans l’opinion de l’Europe, puisque c’est sur un mensonge que le peuple de Paris se fût soulevé.

Crime contre Dreyfus ; crime contre le peuple de Paris et contre la France, voilà ce qu’a commis Rochefort s’il a lui-même imaginé cette absurde et dangereuse histoire.

Mais je me hâte de dire que Rochefort, du moins pour une large part, a été dupe.

Depuis l’origine de cette affaire, il a fait preuve surtout d’imbécillité. Ce n’est pas impunément qu’il vieillit. Les hommes qui toute leur vie ont cherché de bonne foi la vérité peuvent vieillir sans que leur pensée se trouble : la force et la lumière tranquille du vrai soutiennent leur esprit jusqu’à la fin.

Mais quand on s’est fait une loi de la fantaisie la plus