Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/59

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Il avait été conduit au ministère de la guerre par le général Gonse qui assistait à l’entretien et qui, dès qu’il sortit, le 6 janvier 1895, le jour même, écrivit au général de Boisdeffre qui se trouvait absent la lettre suivante :

« MON GÉNÉRAL,

« Je m’empresse de vous rendre compte que j’ai conduit moi-même le capitaine de la garde républicaine, le capitaine Lebrun-Renaud, chez le ministre, qui l’a envoyé, après l’avoir entendu, chez le Président. D’une façon générale, la conversation du capitaine Lebrun-Renaud avec Dreyfus était surtout un monologue de ce dernier qui s’est coupé et repris sans cesse. Les points saillants étaient les suivants : « En somme on n’a pas livré de documents originaux, mais simplement des copies. »

Et le général Gonse ajoute :

« Pour un individu qui déclare toujours ne rien savoir, cette phrase est au moins singulière. Puis, en protestant de son innocence, il a terminé en disant : « Le ministre sait que je suis innocent, il me l’a fait dire par le commandant du Paty de Clam, dans la prison, il y a trois ou quatre jours, et il sait que si j’ai livré des documents ce sont des documents sans importance et que c’était pour en obtenir de sérieux. » Le capitaine a conclu en exprimant l’avis que Dreyfus faisait des demi-aveux ou des commencements d’aveux mélangés de réticences et de mensonges. Je ne sais rien depuis ce matin, etc… »

Le capitaine Lebrun-Renaud lui-même inscrivit le même jour, le 6 janvier, sur une feuille détachée de son calepin, la note suivante, qui est encore entre ses mains :

« Hier, dégradation du capitaine Dreyfus. Chargé de le conduire de la prison du Cherche-Midi à l’École militaire, je suis resté avec lui de huit à neuf heures. Il était très abattu, m’affirmait que dans trois ans son innocence serait reconnue. Vers huit heures et demie, sans que je l’interroge, il m’a dit : « Le ministre sait bien que, si je livrais des documents, ils étaient sans valeur, et que c’était pour m’en procurer de plus importants. »

« Il m’a prié de donner l’ordre à l’adjudant chargé de le dégrader d’accomplir cette mission le plus vite possible. »