Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/68

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la lettre du général Gonse, à un monologue, toutes les preuves de son innocence, et il insère dans sa démonstration l’opinion que du Paty de Clam prête au ministre sur son cas.

Ainsi s’expliquent et se concilient le récit fait par Lebrun-Renaud à M. Clisson, le reporter du Figaro, le soir de la dégradation et le récit fait par lui au ministre le lendemain.

Il est aisé de reconstituer toute la conversation, tout le monologue de Dreyfus dans cette crise suprême :

« Je suis innocent. Voyons, mon capitaine, écoutez : On trouve dans un chiffonnier d’une ambassade un papier annonçant l’envoi de quatre pièces. On soumet le papier à des experts : trois reconnaissent mon écriture, deux déclarent que l’écriture n’est pas de ma main, et c’est là-dessus qu’on me condamne. À dix-huit ans j’entrais à l’École polytechnique. J’avais devant moi un magnifique avenir militaire, 300.000 francs de fortune et la certitude d’avoir dans l’avenir 50.000 francs de rentes. Je n’ai jamais été un coureur de filles ; je n’ai jamais touché une carte de ma vie, donc je n’ai pas besoin d’argent. Pourquoi aurais-je trahi ? Pour de l’argent ? Non ; alors, quoi ?

» ― Et qu’est-ce que c’était que les pièces dont on annonçait l’envoi ?

» ― Une très confidentielle, et trois autres moins importantes.

» ― Comment le savez-vous ?

» ― Parce qu’on me l’a dit au procès. Ah ! ce procès à huis clos, comme j’aurais voulu qu’il eût lieu au grand jour ! Il y aurait eu certainement un revirement d’opinion. »

(Interview Clisson, dans le Figaro du 6 janvier 1894.)

Et il ajoute : « D’ailleurs, le ministre lui-même sait que je suis innocent. Il me l’a fait dire par M. du Paty ; il croit que si j’ai livré des documents, c’est pour en obtenir d’autres. Mais je n’ai même pas fait