Page:Jaures - Poemes.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 17 —

et de poésie juvéniles qui brûlait en moi s’éteindrait sans avoir pu réchauffer ces espaces glacés. Bossuet avait dit : « Allons méditer le silence sacré de la nuit. » Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Tous les deux avaient l’âme chrétienne et je venais de passer en quelques instants de l’expansion de l’un au resserrement de l’autre.


* * *


Dans l’espace


Pour moi, je n’ai jamais regardé sans une espèce de vénération l’espace profond et sacré, et lorsque, cheminant le soir, je le contemple, je me dis parfois que tous les hommes, depuis qu’il y a des hommes, ont élargi leur âme en lui, et que si les rêves humains qui s’y sont élevés laissaient derrière eux, comme l’étoile qui fuit, une trace de lumière, une immense et douce lueur d’humanité emplirait soudain le ciel. Mais, en même temps, je me dis que, si l’espace a ainsi toujours sollicité les pensées humaines, c’est qu’il les élève à l’infini ; il est comme un miroir d’infinité où nos pensées ne peuvent se réfléchir sans s’étonner soudain de se voir infinies. Or, cette infinité, il ne la tient pas de lui-même ; il l’emprunte de l’être que la raison seule peut saisir, que l’âme seule peut pénétrer, et c’est ainsi que l’âme, en s’abandonnant à l’espace, ne se livre pas sans retour. Par l’infini de l’étendue, elle revient au véritable infini, c’est-à-dire, au fond, à elle-même. Oh ! j’aimerais que l’esprit humain gravît de nouveau ces hauts som-