Page:Jaures - Poemes.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 25 —

sphère et allaient bien loin de nous dans des espaces indifférents. Mais il n’était pas un murmure, pas un souffle, pas une plainte, pas même un cri d’appel vers les étoiles lointaines qui se répandît hors de notre monde dans les espaces étrangers. La terre gardait pour elle toute son âme, et je me réjouissais dans cette intimité, d’une vie plus concentrée et plus ardente, condamnée par ce perpétuel refoulement à une plénitude souffrante et douce, à un besoin d’infini tout intérieur et tout replié.


IV. ― En savourant les parfums, les clartés, les formes, les joies intimes, nous nous imprégnons d’être par toutes nos puissances de connaître et de sentir. Il y a, de l’être à ses manifestations changeantes, une merveilleuse réciprocité de services. Si nous ne sentions pas l’être, au fond même des choses les plus subtiles et les plus fuyantes, notre âme se dissoudrait dans la vanité et l’incohérence de ses joies. Il y a, jusque dans la subtibilité du rayon qui se joue, quelque chose de résistant, et si les couleurs et les sons peuvent se compléter dans notre âme par d’étranges et mystérieuses harmonies, c’est que les sons et les couleurs mêlent, dans les profondeurs de l’être, leurs plus secrètes vibrations. Mais, pendant que d’un côté l’être donne ainsi à toutes les manifestations sensibles ce commencement d’unité qui est nécessaire aux choses les plus libres et cette solidité qui est nécessaire aux plus exquises, les manifestations sensibles, à leur tour, communiquent à l’être un ébranlement mystérieux qui leur survit. Rien de précis ne subsiste dans mon âme des belles formes que j’ai admirées, des parfums que j’ai respirés, des splendeurs dont je me suis enivré ; et pourtant, lorsque mon âme, toute vibrante de ces émo-