Page:Jean Charles Houzeau - La terreur blanche au Texas et mon évasion, 1862.djvu/29

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m’éloigner. Si vous exigez plus de travail, j’essayerai de vous satisfaire ; j’irai jusqu’à la limite de mes forces, jusqu’à ce que je tombe épuisée devant la tâche que vous fixerez. Ordonnez; imposez-moi de la peine; mais, au nom du ciel ! ne m’envoyez pas au loin, chez un étranger.

« Ah! si mademoiselle Emilie était ici, ajouta-t-elle avec un regret poignant, je lui dirais mes souffrances, et elle intercéderait pour moi. Elle est si bonne! Elle est de mon âge. Enfants, nous jouions ensemble, et que de fois la grande allée d’orangers a été témoin de nos luttes au cerceau! Jeunes filles, nos occupations étaient les mêmes, et nos goûts nous rapprochaient tous les jours. La dernière fois qu’elle est venue de pension, elle m’a pris les mains et m’a embrassée comme à l’ordinaire. “Amanda, m’a-t-elle dit, quand je serai mariée, vous viendrez avec moi; mon père me l’a promis; nous ne serons pas séparées.” J’irai avec mademoiselle ; elle est plus instruite que moi, mais j’ai autant de cœur pour aimer.»

Rappelant alors les scènes de son enfance, faisant appel à tous les souvenirs qui la rattachaient à ses maîtres et à cette habitation chérie, la jeune fille s’épuisait en prières, en supplications. Bientôt elle perdit la connaissance de ce qui se passait autour d’elle. Ses regrets si vifs, ses appels touchants à des liens qu’on eût appelé volontiers liens de famille, ne furent d’aucun effet sur le planteur. Par son ordre, une vieille négresse emballa dans un coffret tout ce qui appartenait à l’esclave louée. Deux hommes prirent Amanda dans leurs bras et la hissèrent dans la voiture. Je n’ai jamais vu de désespoir plus vrai ni plus navrant. Tantôt la jeune