Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/156

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un père ne donne point son fils à un autre homme, Dieu donnera bien moins à un autre l’ouvrage de ses propres mains. Car encore que votre tête soit à vous, elle est néanmoins l’ouvrage d’un autre. Vous êtes si éloigné d’en être le seigneur et le maître, qu’il vous est impossible d’y faire le moindre changement. Il ne dit pas : Vous ne pouvez agrandir un de vos cheveux, mais : vous n’en pouvez changer la couleur.
Vous me direz peut-être : Si quelqu’un me contraint de jurer, et m’impose cette nécessité, que dois-je faire ? Je vous réponds que la crainte de Dieu doit être plus forte sur votre esprit, que cette nécessité qu’on vous impose. Que si vous allez chercher des raisons de ce genre, et de semblables prétextes, vous n’obéirez à aucun des commandements de Dieu. Car lorsqu’on vous défend de répudier votre femme, ne pourrez-vous pas dire de même : mais si elle est de mauvaise humeur, si elle fait trop de dépense ? Lorsqu’on vous commande d’arracher votre œil droit, ne pourrez-vous pas dire : Mais si je l’aime de tout mon cœur ? Lorsqu’on ne vous permet pas de jeter un seul regard déshonnête, ne direz-vous pas encore : Mais puis-je m’empêcher de voir ? Lorsqu’on vous ordonne de ne vous point mettre en colère contre votre frère, ne pourrez-vous pas dire aussi : Mais si je suis prompt, et que je ne puisse retenir ma langue ? Ainsi vous pourriez éluder tous les commandements que Dieu vous fait.
Considérez que vous n’oseriez alléguer de semblables excuses, lorsqu’il s’agit de garder les lois humaines. Vous n’oseriez dire : Mais si telle ou telle chose arrive, suis-je obligé de garder la loi ? Et il faut de gré ou de force que vous vous y soumettiez. Si vous voulez être fidèle à la loi de Jésus-Christ, vous ne vous trouverez pas exposé à cette nécessité de jurer. Car celui qui aura écouté avec foi ces béatitudes, et qui se sera mis dans l’état où Jésus-Christ le demande, sera tellement cru de tout le monde, qu’il ne trouvera personne qui le contraigne à jurer. « Mais contentez-vous de dire : Cela est, ou cela n’est pas. Ce qui est de plus vient du mauvais (37). » Ce qui est de plus que le oui ou le non, c’est le jurement, et non le parjure, puisque ce dernier étant visiblement mauvais, nous n’avons pas besoin que personne nous en avertisse, et Jésus-Christ ne dirait pas : « ce qui est de plus », en parlant d’une chose évidemment mauvaise. Car ce qui est « de plus », c’est le superflu, le surajouté, ce qui dépasse le nécessaire, tel qu’est le jurement.
Vous nie direz peut-être : Si le serment vient d’une mauvaise cause, pourquoi Dieu le commande-t-il par la loi ? Vous pourrez demander la même chose touchant le divorce : Pourquoi ce qui est un adultère maintenant, était-il permis autrefois ? Que pouvons-nous répondre à cela, sinon que la faiblesse de ce peuple obligeait Dieu à user de condescendance dans les lois qu’il lui donnait ? N’était-il pas de même indigne de Dieu d’être honoré par la fumée des holocaustes ? Mais il se proportionnait à ce peuple, comme un homme sage prend avec un enfant le langage des enfants. Mais depuis que Dieu nous a instruits des véritables vertus, le divorce passe pour un adultère, et le jurement est défendu comme venant d’un mauvais principe.
Si ces premières lois avaient eu le démon pour auteur, elles n’auraient pas produit tant de bons effets. Si la loi ancienne n’avait précédé la nouvelle, celle-ci n’aurait pas été si facilement reçue. N’accusez donc point d’être sans vertu une loi, dont l’usage n’est plus de saison. Elle a servi, en son temps, et nous pouvons dire qu’elle sert encore aujourd’hui. Rien ne montre mieux son utilité que le reproche même qu’on lui fait de n’en avoir pas. C’est sa gloire qu’on en juge de la sorte. Car si elle ne nous avait nourris d’abord d’une manière proportionnée à notre faiblesse, et si elle ne nous avait ainsi rendu capables de quelque chose de plus grand, nous n’aurions pu jamais en porter un semblable jugement.
6. Ainsi la mamelle d’une nourrice paraît inutile lorsqu’elle a nourri l’enfant, et qu’elle l’a rendu capable, d’une nourriture plus solide. On ne la considère plus alors ; et le père qui la regardait auparavant comme étant si nécessaire à son fils, s’en moque ensuite. Plusieurs même y mettent quelque chose d’amer, afin que n’en pouvant retirer l’enfant par des paroles, ils arrêtent par cette amertume l’inclination violente qui sans cesse l’y ramène. Ainsi Jésus-Christ dit que le jurement venait d’un mauvais principe, non pour marquer que la loi ancienne vînt du démon, mais pour porter les hommes avec plus de force à se séparer de ses observances désormais trop imparfaites. C’est ainsi qu’il agit avec ses disciples.