Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/85

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Ce mesme jour de Dimanche nous descouvrismes une Caravelle de Portugal, laquelle estant au-dessous du vent de nous, et voyant bien par ce moyen ceux qui estoyent dedans qu’ils ne pourroyent resister ni fuir, calans le voile se vindrent rendre à nostre Vice Admiral. Ainsi nos Capitaines qui dés long temps auparavant avoyent arresté entre eux de s’accommoder (comme on parle aujourd’huy) d’un vaisseau de ceux qu’ils s’estoyent tousjours promis de prendre, ou sur les Espagnols, ou sur les Portugais, à fin de s’en saisir et mieux asseurer mirent incontinent de nos gens dedans. Toutesfois à cause de quelques considerations qu’ils eurent envers le maistre d’icelle, luy ayant dit qu’en cas qu’il peust soudainement trouver et prendre une autre Caravelle en ces endroits-là, qu’on luy rendroit la sienne : luy qui de sa part aussi aimoit mieux la perte tomber sur son voisin que sur lui, après que, selon la requeste qu’il fit, on luy eut baillé une de nos barques armée de mousquets, avec vingt de nos soldats et une partie de ses gens dedans, comme vray Pirate que j’ay opinion qu’il estoit, à fin de mieux jouer son rolle et de n’estre descouvert il s’en alla bien loin devant nos navires.

Or nous costoyons lors la Barbarie habitée des Mores, de laquelle nous n’estions guere eslongnez que d’environ deux lieues : et comme il fut soigneusement observé de plusieurs d’entre nous, c’est une terre plaine, voire si fort basse que tant que nostre veue se pouvoit estendre, sans voir aucunes montagnes ni autres objets, il nous estoit advis que nous estans plus hauts que tout ce pays-là, il deust estre incontinent submergé, et que nous et nos vaisseaux deussions passer par dessus. Et à la verité, combien qu’au jugement de l’œil il semble estre ainsi, presques sur tous les rivages de la mer,