Page:Jerome - Fanny et ses gens, 1927.djvu/28

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amis… à ceux de votre monde… Ne sera-ce pas trop pénible ?

Vernon. — De toutes manières, il faudra qu’ils apprennent toute l’histoire. Alors, comprenez-vous, tant que vous serez là, j’aurai une réponse, la plus belle de toutes, à faire à ceux qui s’étonneront.

Fanny, coquette. — Une réponse, Vernon ?

Vernon, splendide. — Je leur dirai : « Voici Fanny. Regardez-la. Et dites encore que vous ne me comprenez pas ! »

Fanny. — C’est vrai, Vernon, c’est bien vrai ?

Vernon. — Chérie !…

Ils sont dans les bras l’un de l’autre.

Fanny. — Savez-vous, Vernon, à quoi je pense ? Notre mariage, c’est un mariage de France, c’est un mariage de Paris ! Vous ne connaissez pas bien Paris !

Vernon. — Trois fois j’ai traversé, Fan…

Fanny. — Ce n’est pas de ce Paris-là que je veux parler… ça, c’est le Paris des étrangers… Ils en ont un autre là-bas… qu’ils gardent pour eux… J’ai appris à le connaître… je l’ai surtout connu quand je vous ai connu… Nous irons ensemble… Je vous ferai comprendre… Paris donne des conseils enivrants, capiteux comme du champagne ! Il y a là-bas une petite voix très douce qui murmure sans cesse : « Cueillez l’heure… profitez de cet instant qui passe… la vie est courte… le plaisir fuit… » C’est une petite voix qu’on n’oublie pas quand on l’a une fois entendue…

Vernon. — Pourquoi s’est-elle tue toute cette nuit, Fanny, la petite voix ?

Fanny. — Parce que toute cette nuit ma porte est restée fermée, Vernon. Cette petite voix que nous avons emportée avec nous, dans nos bagages, exige que nous soyons réunis pour bien se faire entendre de nous.

Vernon. — Et qu’est-ce qu’elle dit, Fanny, cette petite voix ? J’ai oublié…

Fanny. — Elle dit : « Cueillons l’heure », mon chéri.

Vernon, l’embrassant sur les lèvres. — Cueillons l’heure !…

Bennett entre, portant le déjeuner pour deux personnes. Il le pose sur la table. Fanny va à lui.

Fanny. — Ah ! Bonjour, Bennett. (Elle va l’embrasser. Bennett est abasourdi.) Mon oncle, lord Bantock a une requête à vous présenter. Il désire que je reste ici comme sa femme. Je suis résolue à le faire, à la condition que vous y donnerez votre consentement.

Vernon. — C’est juste, Bennett, j’aurais dû vous le demander plus tôt. Excusez-moi. Voulez-vous consentir à mon mariage avec votre nièce ?

Fanny, interrompant Bennett qui va répondre. — Vous comprenez bien ce que cela signifie : à partir du moment où vous aurez donné votre consentement, si vous le donnez, je serai lady Bantock, votre maîtresse, votre maîtresse à tous !

Bennett. — C’est-à-dire, Fanny, que si cela devait signifier autre chose, je ne consentirais jamais à un tel mariage. (Il prend un temps.) Ma chère Fanny… Mon cher Vernon… je parle pour la première et dernière fois en qualité de votre oncle. Je suis un personnage imbu de théories d’un autre âge, et mes idées, on me l’a souvent dit, sont plutôt celles de la classe que je sers que celles de la classe à laquelle j’appartiens, — l’observation et l’expérience m’ont enseigné qu’un des meilleurs éléments pour réussir en toutes branches est d’être absolument digne de la situation qu’on occupe… Hier, dans votre intérêt à tous deux, j’aurais refusé ce consentement que vous me demandez… Aujourd’hui, je vous le donne.

Fanny. — J’ai donc bien changé, mon oncle ?

Bennett. — Vous vous êtes révélée, Fanny. Vous vous êtes montrée capable de commander ! C’est seulement alors qu’un être humain mérite d’être servi ! Il fallait comprendre cela. Aujourd’hui, vous l’avez compris. Je sais maintenant que je donne à lord Bantock une femme qui est digne à tous égards de sa haute position. (Il embrasse Fanny. Vernon lui serre la main. Et, d’un coup, il redevient maître d’hôtel. Il retourne à la table.) Le déjeuner de Leurs Honneurs est servi.


Vernon et Fanny prennent place à table. Fanny enlève son chapeau. Bennett enlève les couvercles.


RIDEAU