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que de la surabondance des provisions. Dans le récit si intéressant qu’il a fait de ses voyages, il nous dit que, dans certaines îles, où l’on ne se servait pas de monnaie, il ne pouvait se procurer les provisions nécessaires au dîner que moyennant un échange spécial qui exigeait chaque fois de longs débats. Si l’on ne pouvait offrir au possesseur du poisson ou des autres comestibles convoités l’objet contre lequel il voulait échanger sa marchandise, il s’en allait, et M. Wallace et son monde se passaient de dîner. On reconnut donc qu’il était très-commode d’avoir toujours sous la main un approvisionnement d’articles divers, couteaux, pièces d’étoffe, arack, gâteaux de sagou ; il y avait ainsi beaucoup de chances pour qu’un article ou l’autre convînt à ces négociants de passage.

Dans la société civilisée d’aujourd’hui, les inconvénients de la méthode primitive des échanges sont tout à fait inconnus, et pourraient presque paraître imaginaires. Accoutumés dès nos plus tendres années à l’usage de la monnaie, nous n’avons pas conscience des services inappréciables qu’elle nous rend ; c’est seulement quand nous nous reportons à des états de société tout différents, que nous pouvons nous faire une idée exacte des difficultés que l’absence de monnaie entraîne. On se trouve même surpris quand on constate que le troc est aujourd’hui encore le seul mode de commerce pratiqué par quelques races non civilisées. Il y a quelque chose de singulièrement absurde en apparence dans ce fait qu’une société par actions, — appelée Compagnie africaine du troc, à responsabilité limitée, — existe à Londres, et que ses opérations consistent uniquement à échanger sur la côte occidentale de l’Afrique des produits manufacturés de l’Europe contre l’huile de palme, la poudre d’or, l’ivoire, le coton, le café, la gomme, et d’autres matières brutes.

La forme primitive de l’échange consista sans doute à donner les objets dont on pouvait se passer pour obtenir ceux dont on avait besoin. Ce trafic élémentaire est ce que nous appelons barter ou truck, en français troc ; nous le distinguons de la vente et de l’achat dans lequel on ne veut garder que peu de temps l’un des articles échangés, pour s’en défaire ensuite en procédant à un second échange.