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LA REVISION


« c’est un juif » et que « le juif trahit sans raison, sans motif, par une sorte d’instinct héréditaire » ; « sa fonction naturelle est de trahir[1] ». Et, par conséquent, l’homme, avant de se savoir accusé, est déjà jugé, condamné ; à peine a-t-il été nommé par Boisdeffre à Du Paty et par Henry à Drumont, il est perdu, « irrémédiablement perdu », parce que juif. — Du Paty, ayant à instruire contre un officier catholique, n’aurait eu recours à aucune de ses détestables aberrations ; surtout, il n’aurait pas été dominé par l’idée préétablie de la culpabilité « atavique ». Écrivant sous sa dictée, la main de Dreyfus est prise d’un tremblement : coupable ; elle n’a pas tremblé : coupable encore ; « il aurait dû trembler ; s’il n’a pas tremblé, il simulait, il était prévenu[2] ». — Puis, pour d’Ormescheville comme pour Du Paty, et, quand le journal de Drumont a parlé, pour des millions et des millions d’hommes, antisémites conscients et antisémites inconscients, plus dangereux encore, le crime, tout de suite, est avéré : l’accusé est juif. « La traîtrise nécessaire de l’officier juif » apparaît avec toute la force de l’une de ces vérités latentes, mais supérieures, qu’on ne discute pas. — « Tout Israël est en mouvement », a écrit Henry à Papillaud[3]. Tout l’antisémitisme est dans ces cinq mots. D’un côté, la race maudite à l’œuvre pour sauver son traître ; les Français de l’autre. Et le drame, maintenant public, n’arrêtera pas d’être conduit, gouverné, régi dans tous ses mouvements, dans tous ses développements, par l’idée maîtresse qu’un juif n’est pas un homme comme les

  1. Revision, II, 285, Mornard.
  2. Rennes, I, 381, Picquart : « Du Paty a dit une phrase bien extraordinaire… » ; Revision, II, 289, Mornard, d’après Demange. — Voir t. I, 114.
  3. Voir t. I, 190.