Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
L’AMNISTIE


Il y a cinq ans, la vue de l’uniforme éveillait chez le bon citoyen de tristes souvenirs. Il se rappelait les désastres sans nom, les lâchetés, les trahisons, les troupeaux de généraux livrant les tas de drapeaux, les capitulations honteuses, la patrie rançonnée, mutilée. Il se rappelait encore le massacre de trente-cinq mille Parisiens ; les Galliffet, les Boulanger, les Déroulède, se vautrant dans le sang français, égorgeant les vieillards et les femmes, rôtissant les blessés, pour se rattraper de leur couardise devant l’ennemi… Maintenant, sur l’uniforme militaire, la boue a recouvert le sang[1].


Enfin, je n’y pus tenir. Briser ouvertement avec Gohier, ne pas me contenter de dire, comme avait fait Clemenceau, que a je n’étais point disposé à contresigner tout ce qu’il écrivait[2] », mais crier que ses diatribes étaient haïssables et impies, me parut un devoir. Je publiai dans le Siècle un article intitulé « Assez ![3] » :


Il n’y a pas eu en 1870, monsieur Gohier, que des Bazaine… Faut-il les nommer, ceux qui tombèrent sur les champs de bataille, ceux qui, tel jour, purent croire qu’ils tenaient la victoire et qui certainement ont sauvé l’honneur ?… On a abusé du Gloria victis ! La pure, la sainte inspiration d’Antonin Mercié a été, depuis quelques années, dénaturée, faussée. Il y avait plus de santé morale, de revanche latente, de victoires en puissance dans le Væ victis ! du vieux brenn gaulois. Cependant, il y a une auréole sur les grands deuils de la patrie, malheur à qui la méconnaît !… Quoi ! la vue de l’uniforme n’évoque aujourd’hui, pour M. Gohier, que la pensée d’Esterhazy et d’Henry ! Malheureux que vous êtes, cet uniforme n’est-il pas aussi, ou n’a-t-il pas été, celui des Picquart,

  1. Aurore du 20 janvier 1900.
  2. Aurore du 31 octobre 1899.
  3. Siècle du 21 janvier 1900.