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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


L’individu arrêté serait accusé d’espionnage. Si la nouvelle est vraie, pourquoi l’autorité militaire garde-t-elle un silence absolu ? Une réponse s’impose.

La note paraît dans la Libre Parole du lundi 29 octobre. Tout de suite la curiosité s’éveille, les journalistes courent au ministère, mais s’y heurtent à la consigne : on ne sait rien.

Cependant Papillaud, accompagné du rédacteur militaire de la Libre Parole[1], s’occupait à contrôler la nouvelle que le journal avait lancée. Au domicile de Dreyfus, une servante, « à l’accent alsacien très prononcé », répond que « le capitaine est absent ». Elle a l’air « navré ». Les journalistes examinent l’appartement. « Tout est en ordre. On sent que la police a passé par là. Pas un papier sur la table du capitaine. » En s’en allant, dans l’antichambre décoré de drapeaux et de trophées d’armes, ils aperçoivent des jouets d’enfants[2] et s’attendrissent.

Tous deux se rendent alors au ministère. Henry fait quelques difficultés pour les recevoir. Papillaud lui montre la lettre[3]. Et, selon Papillaud, Henry feignit une grande surprise, voulut s’emparer du précieux papier :

  1. Le commandant Biot, qui signait Ct Z…
  2. « Un de ces petits ballons de bébé dont la vue nous serre le cœur. » (Libre Parole du 1er  novembre, article intitulé : « Arrestation d’un officier juif », signé : « Ct Z… ».) La visite de Papillaud à Henry n’y est pas mentionnée.
  3. Récit fait par Papillaud à Mlle Yvonne Leclaire qui l’a publié dans la Fronde du 3 avril 1899. Papillaud n’y opposa aucun démenti. Si Papillaud était déjà en relations avec Henry, — qui lui écrivait : « Mon cher ami », — il est à croire que l’entrevue s’est passée différemment. S’il ne l’avait pas connu du tout, pourquoi aurait-il été chercher, parmi les nombreux Henry, celui du ministère de la Guerre ? En tous cas, Papillaud garda la lettre. À l’époque où je l’ai publiée, les collaborateurs de Drumont racontaient (à la Chambre, au Palais de Justice) qu’elle était l’œuvre de Du Paty qui l’aurait méchamment signée du nom d’Henry. Le commandant Biot protesta, par la suite, qu’il n’avait jamais vu le commandant Henry (Temps, 4 août 1903). Papillaud invité, en 1903, par la Cour de cassation à produire la lettre d’Henry, déclara qu’il ne la possédait plus (voir t. VI, 352). J’acquis un peu plus tard la certitude que Papillaud avait eu de fréquentes relations avec Henry et qu’il le connaissait dès 1894.