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L’ILE DU DIABLE


œuvre scientifique, ses travaux sur la soude et l’aniline. Si le procès de Dreyfus lui avait laissé « une impression de trouble », en raison des invraisemblances morales, le verdict unanime des juges militaires l’avait rassuré[1].

Scheurer faisait partie d’un déjeuner hebdomadaire où d’anciens amis de Gambetta se réunissaient. L’attitude de Dreyfus à la parade d’exécution avait accru les doutes de Ranc et les miens ; ce n’était pas celle d’un coupable. Scheurer, pressé par nous, sentit revenir ses inquiétudes, interrogea Freycinet. Celui-ci lui confia que les juges avaient été convaincus, en chambre du conseil, par une lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen où Dreyfus était nommé[2]. Scheurer ne tressauta pas devant la révélation de la forfaiture ; cependant il ne nous rapporta pas la réponse de son collègue.

Quelques jours après[3], Mathieu se présenta chez lui. Scheurer était, depuis vingt-cinq ans, le protecteur attitré de tous les Alsaciens en détresse. Pourtant, il reçut d’abord Mathieu avec quelque froideur ; mais il fut vite gagné par sa douleur, la sincérité de ses accents « si vrais ». Il lui promit de se renseigner et s’adressa, de nouveau, à Freycinet[4], ainsi qu’à Berthelot[5] et au général Billot[6], son ami intime, qu’il tutoyait.

Dès le surlendemain. Billot arriva chez Scheurer, et, sans nommer son informateur, — Boisdeffre ou Gonse ?

  1. Mémoires (inédits) de Scheurer-Kestner (janvier 1895). — « Après la condamnation de Dreyfus, j’ai été, comme tout le monde, convaincu de sa culpabilité. » (Procès Esterhazy, 146.)
  2. Voir t. I, 444. — Mémoires, janvier 1895.
  3. 7 février 1890.
  4. Procès Esterhazy, 146, 147 ; Rennes, II, 47, Scheurer-Kestner.
  5. Le grand chimiste, sénateur inamovible.
  6. Sénateur inamovible, ancien ministre de la Guerre.