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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


charge, avait compris que la divulguer, c’était commencer à sauver son frère. Et Mercier aussi l’avait compris, d’où l’ordre violent de prononcer le huis clos ; puis, après le verdict, son projet de loi sur l’espionnage[1], qui avait moins pour but de frapper de la peine de mort les traîtres à venir que d’arrêter, par la crainte de la prison, les révélations des amis du condamné[2].

L’acte d’accusation contre Dreyfus, puisque le huis clos a été prononcé avant qu’il en fût donné lecture, et le bordereau lui-même, ce sont des documents qui intéressent la sûreté de l’État. Qui les publiera sera passible de cinq ans de prison.

L’avertissement était très clair. On a vu que défense avait été faite à Demange de remettre le dossier à Mme Dreyfus, et que Mathieu s’était hâté de cacher à l’étranger la copie du rapport de d’Ormescheville, de la main de son frère, qui lui avait été remise par Forzinetti. La loi, sans doute, n’était encore qu’en projet, et la presse faisait entendre quelques timides protestations. Cependant, la Commission de l’armée l’avait adoptée dans son ensemble, et la Chambre s’apprêtait, sous la terreur de paraître indulgente aux traîtres, à la voter sans débat[3].

  1. Projet déposé à la Chambre le 24 décembre 1894 et renvoyé à la Commission de l’armée.
  2. Article 6 (voir t. I, 476). — La rédaction de cet article fut modifiée, légèrement, par la Commission de l’armée : « Sera punie d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 100 à 5.000 francs, toute personne qui, s’étant procuré lesdits objets, plans, écrits, documents ou renseignements, ou, en ayant eu connaissance totale ou partielle, les aura, sachant que leur secret intéresse la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l’État, livrés, communiqués, publiés ou reproduits par un procédé quelconque, en tout ou en partie. »
  3. Je faisais partie de la Commission de l’armée que présidait l’académicien Mézières. La Commission fut unanime à