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LE PETIT BLEU


grand Sanhédrin, convoqué par Napoléon, proscrivit l’usure. Par malheur, ce n’était ni un Synode ni un Concile, et ses décisions furent aussi vaines que le décret de 1808 qui défendait aux Juifs de s’établir, sinon pour s’adonner à l’agriculture, dans la vallée du Rhin.

Le préjugé de Picquart était un produit de ces temps passés. Il ne s’en cachait pas, se fâchait quand on écrivait son nom « Picard », d’une orthographe qui avait un air juif[1]. Quand il fut chargé de répartir les stagiaires entre les bureaux de l’État-Major, il plaça Dreyfus à la section des manœuvres, parce qu’il connaissait Mercier-Milon pour un esprit juste et libre[2], mais s’excusant, tout de même, « de lui donner le Juif[3] ». Cependant, quand l’affaire éclata, il garda son sang-froid et, consulté par Gonse, refusa d’attribuer le bordereau à Dreyfus[4].

S’il joua un bout de rôle, au prologue du drame, quand il conduisit la victime à Du Paty, il résista, quelque temps encore, à l’entraînement général. Les haines cristallisées sur Dreyfus ne lui parurent pas des raisons. Il ne tomba qu’au piège des preuves secrètes ; les chefs, Gonse et Sandherr, affirmaient qu’elles étaient décisives et écrasantes[5] ; il les crut sur parole ; et,

    du 30 mai 1806, suspendit l’exécution des jugements rendus au bénéfice des usuriers juifs du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et des provinces rhénanes. L’un des considérants du décret est ainsi conçu : « Il est urgent de ranimer, parmi ceux qui professent la religion juive dans les pays soumis à notre obéissance, les sentiments de morale civile qui, malheureusement, ont été amortis chez un trop grand nombre d’entre eux par l’état d’abaissement où ils ont trop longtemps langui et qu’il n’entre dans nos intentions ni de maintenir ni de renouveler. »

  1. Cass., I, 437, Gribelin.
  2. Rennes, I, 373, Picquart.
  3. Instr. Tavernier, 12 nov. 1898, Picquart.
  4. Cass., I, 126 ; Rennes, I, 376, Picquart.
  5. Cass., I, 127, 132, 141, 143 ; Rennes, I, 361, 378, Picquart.