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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


naissait le Droit, il consulta, en deux occasions, son ami Leblois, strasbourgeois comme lui, son camarade d’enfance et de collège, magistrat pendant dix ans[1], puis avocat à Paris.

C’était le fils de ce pasteur Leblois qui, si longtemps, illustra le Temple-Neuf par l’éclat et l’indépendance de sa parole, l’une des plus hautes figures du protestantisme alsacien, si riche en solides consciences. Il avait été, sous l’Empire, mêlé à la jeune opposition républicaine[2], l’un des maîtres de Scheurer-Kestner[3] et l’initiateur religieux du petit-fils de George Sand[4]. Après la guerre, il donna ses six fils à la France, mais, lui-même, ne voulut pas quitter les affligés, ceux qui, ne pouvant pas partir, étaient condamnés à se faire allemands. Ainsi, par devoir envers le troupeau dont il était le guide, il resta au pays annexé. Mais, comme il était de la race des ministres héroïques qui, pendant des siècles, aux deux bords du Rhin, et des montagnes de Bohême aux Cévennes, souffrirent et moururent pour leurs croyances, la première fois qu’il monta en chaire, après le douloureux sacrifice, (ce fut pour prêcher en français. Il reçut l’ordre aussitôt de prêcher en allemand, d’ajouter à la prière la formule de grâce pour l’Empereur. Il refusa. Au seizième siècle, on lui

  1. Substitut à Dijon (4 novembre 1880), puis à Nancy (1884), et à Lille (1885). Démissionnaire le 10 novembre 1890.
  2. Il fut l’ami de Clamageran, d’Henri Martin, de Jules Ferry.
  3. Procès Esterhazy, 149 ; Rennes, II, 48, Scheurer-Kestner.
  4. Correspondance de George Sand, IV, 354, lettre du 3 août 1863 au pasteur Leblois : « Nous songions au protestantisme pour mon petit-fils, puisqu’il est une protestation contre le joug romain. Mais deux dogmes, l’un odieux, l’autre inadmissible, la divinité de Jésus-Christ et la croyance au diable et à l’enfer, nous faisaient reculer devant un progrès religieux qui n’avait pas encore eu la franchise ou le courage de rejeter ces dogmes. Vos sermons nous délivrent de ce scrupule… »