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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il paraît certain qu’il n’alla chez Foucault et à Bâle que pour conjurer le danger dont il se croyait menacé par le service des Renseignements, possesseur de sa correspondance avec Lajoux. Un pauvre homme, un père de famille, qui tremble pour lui et pour les siens. D’une logique simple, il croit que l’État-Major lui saura gré de signaler la piste d’un traître. S’il ne nomme pas alors Esterhazy, c’est, sans doute (il l’affirme du moins), qu’il n’en savait pas alors plus long. Il n’eût pas eu, ce semble, plus de scrupule à le nommer que ce paysan de la Meuse. S’il refuse à Henry et à Lauth d’entrer au service français, comme il l’a refusé jadis à Sandherr, c’est qu’il n’a jamais eu l’âme d’un traître, qu’il est las de son métier et qu’il veut faire peau neuve. Et, s’il ne veut pas de leur argent, c’est que, déjà, il ne sait plus mentir : il a été espion, argousin, et il restera pauvre ; mais il ne sera pas un faux témoin contre un innocent et le plus infortuné des hommes[1].

XX

Le soir même où Lauth et Henry partirent pour Bâle, Boisdeffre rentra à Paris[2]. Il prit dans sa voiture

    ment d’avril, les débats de la Gourde cassation ! Je dus me justifier devant mes anciens chefs, leur dire pourquoi j’avais agi de ma propre initiative, sans mandat, sans y être autorisé. Ils m’ont généreusement pardonné dès qu’ils ont su le mobile qui m’avait dicté ma conduite, le désir de sauver un innocent… » Il faut ajouter : la crainte d’une vengeance plus redoutable que les dénonciations de Lajoux.

  1. De cette même lettre : « Mon nom ne doit plus être prononcé. Mais, si je savais que le capitaine Dreyfus ne pouvait être sauvé que par mon témoignage, rien ne m’arrêterait ; je sacrifierais tout : position, liberté, vie. »
  2. 5 août 1897. — Cass., I, 152 ; Rennes, I, 428, Picquart. — De même Boisdeffre (Cass., I, 261, 262 ; Rennes, I, 522, 524, etc.).