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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Picquart laissa paraître sa satisfaction d’avoir enfin ce spécimen tant cherché[1].

Puis, dès qu’il eut jeté un regard sur ces lettres, il fut frappé de l’analogie entre l’écriture d’Esterhazy et une autre écriture qui lui était bien connue, celle du bordereau[2]. Il a, dans son bureau, des fac-similés du bordereau. Il compare avec l’écriture d’Esterhazy. Ce n’est plus la similitude, c’est l’identité[3].

Une épouvante le prit[4]. Nul, depuis deux ans, n’a été plus certain que lui de la culpabilité du Juif. D’un œil sec, il l’a vu condamner, dégrader, déporter ; les lettres de l’innocent, il les a lues comme celles d’un comédien. Quoi ! une pareille erreur aurait été commise ! Depuis sa conversation avec Foucault, l’idée lui en était parfois venue ; mais il l’avait repoussée.

Toujours méthodique et prudent, il ne voulut pas s’en fier à ses yeux. Il fit photographier les deux lettres par Lauth, mais après en avoir supprimé, sous des « caches », la signature, les dates, et quelques mots trop révélateurs[5]. Du Paty et Bertillon ont été les

    ses dépositions, consiste à embrouiller les dates et les faits ; cependant, il ne réussit pas à dissimuler qu’il approuva Picquart, au début de ses recherches, et qu’il l’aida de son mieux. (Cass., I, 550 ; Rennes, I, 178, 179.)

  1. Instr. Tavernier, Calmon.
  2. Cass., I, 154 ; Rennes, I, 430, Picquart.
  3. Ibid.
  4. Rennes, I, 430, Picquart : « Je fus épouvanté. »
  5. Procès Zola, I, 285 ; Cass., I, 152 ; Rennes, I, 431, Picquart ; Instr. Tavernier, Calmon. La photographie fut faite le lendemain, 28 août. — Au procès Zola (I, 154, 155), l’avocat général pose cette question : « À quelle époque a-t-on photographié, pour la première fois, l’écriture du commandant Esterhazy ? » Lauth répond audacieusement : « Je ne puis pas spécifier à huit ou quinze jours près, mais cela devait être vers le mois de mai. » Lauth ajoute : « Chaque fois que j’avais à photographier un spécimen de l’écriture du commandant, je devais masquer certaines parties de façon à dénaturer la teneur de la lettre. »