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LE PETIT BLEU


testa pas, comme il l’eût fait s’il avait eu la conscience en repos, que le crime de Dreyfus était certain, établi par cent preuves, et qu’il était insensé de le mettre en doute. Mais il continua à écouter Picquart avec le même air d’impassible gravité, planant très haut, ne donnant aucune raison contre les siennes[1], même quand l’officier expliqua qu’aucune des pièces secrètes ne pouvait soutenir cinq minutes de discussion contradictoire[2].

Toutefois, il ne lui laissa pas achever sa démonstration et, sortant tout à coup de son silence, il lui ordonna d’aller rendre compte à Gonse, à la campagne, et de prendre son avis[3]. (Ainsi, tant qu’Esterhazy avait été seul en cause, Boisdeffre avait oublié qu’il importait de suivre la voie hiérarchique[4], que « le service des Renseignements est dans les attributions du sous-chef de l’État-Major, et que le plus sûr des guides[5] », c’est Gonse.)

Picquart s’étonna un peu, mais, docile, écrivit à Gonse, lui annonçant sa visite pour le surlendemain. Ce délai donnait à Boisdeffre le temps de réfléchir, de consulter son directeur, à leur conférence quotidienne[6], sur les moyens les plus propres à parer au danger.

Le lendemain, Picquart retourna chez Boisdeffre : « Croyez-vous, demanda le général, que j’aie dormi après ce que vous m’avez montré hier ? » Et, encore une fois,

  1. Procès Zola, I, 306 ; Cass., I, 139 ; Rennes, I, 432, Picquart. — Instr. Fabre, 60 ; Cass., I, 262, Boisdeffre : « Je trouvai une certaine ressemblance dans les écritures ; j’avais vu bien des écritures qui ressemblaient déjà, plus ou moins, à celle du bordereau. »
  2. Instr. Fabre, 87, Picquart.
  3. Cass., I, 130, 156 ; Rennes, I, 452, Picquart ; I, 525, Boisdeffre.
  4. Rennes, I, 525, Boisdeffre.
  5. Instr. Fabre, 60, Boisdeffre.
  6. Il voyait tous les jours le Père Du Lac, qui me l’a dit lui-même.