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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


découverte des misérables qui ont commis le crime infâme et lâche », que, seul, le gouvernement a les moyens, « tous les moyens pour y parvenir ». « La lumière pourra être faite quand on voudra bien la faire[1]. »

La lumière se faisait, et par l’homme qui l’avait conduit, encore libre et heureux, à Du Paty !

Depuis un an, Mathieu gardait dans son tiroir le mémoire de Bernard Lazare, docile aux conseils temporisateurs de Demange, sourd aux reproches du jeune écrivain, qui s’irritait de ces retards. Il décida alors de le publier.

Il avait fait valoir deux raisons successives contre la hâte de Bernard Lazare : au début, les colères encore trop vives ; plus tard, le profond oubli où semblait tombé le drame qui, pendant quelques semaines, avait passionné l’opinion. Mobile et capricieuse, la France se lasse vite de ses enthousiasmes et de ses haines ; et, visiblement, la presse antisémite et celle qui fait du patriotisme une industrie ont reçu le mot d’ordre d’ensevelir dans l’oubli le nom maudit. La conspiration du silence se fera certainement sur l’inutile appel à la Justice.

Mathieu réfléchit qu’avant de faire paraître le mémoire, il était nécessaire de rapprendre au public le nom de son frère, de forcer la presse hors de ce silence aussi mortel aujourd’hui qu’autrefois ses fureurs. Mais comment ? L’idée lui vint de faire annoncer par un journal étranger l’évasion du prisonnier de l’île du Diable. Quand éclatera cette nouvelle, les plus indifférents se retourneront, il faudra bien que les aboyeurs recommencent à hurler. À cette explosion répondra alors, audacieux défi à la

  1. 7 et 27 septembre 1895