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LA DOUBLE BOUCLE


marin avait appris l’événement à l’île du Connétable, où il chargeait des phosphates sur son bateau le Non-Pareil. La fuite de Dreyfus avait été préparée par sa femme, qui s’était rendue à Cayenne. Immédiatement après le départ de l’aviso français, qui ne visite que rarement les îles du Salut, un schooner américain avait pris à son bord Dreyfus et ses gardiens.

Les agences télégraphièrent la nouvelle à Paris, où elle parut, le soir, dans les journaux. Lebon, ministre des Colonies, câbla aussitôt à la Guyane, d’où il reçut, dès le lendemain, un démenti qui fut, sans retard, communiqué à la presse.

La nouvelle, dont la fausseté avait été si vite établie, ne causa pas grande émotion ; elle fût tombée dans l’indifférence sans Drumont et Rochefort, qui s’en saisirent pour la commenter avec leur violence habituelle.

Ils feignirent d’abord de ne pas s’étonner : « Les princes de la Haute-Banque et les Pères de la Synagogue s’étaient déjà syndiqués, une première fois, en 1894, pour corrompre les juges[1]. » Dupuy a déclaré « qu’un million fut offert alors au commissaire Brisset ». Les soldats repoussèrent cette offre. La scène hideuse de La Rochelle devient un complot juif. « Une foule, hostile seulement en apparence, accourut, non pour huer Dreyfus, mais pour le sauver ; sous prétexte de lyncher le traître, on devait se précipiter sur lui, l’emporter. » On eût réussi sans l’héroïsme des gendarmes. Mais les Juifs, jamais découragés, formèrent aussitôt un « Syndicat d’évasion ». Dès l’arrivée de Dreyfus à l’île du Diable, la Libre Parole a prédit la fuite prochaine, « avant deux ans ». Le misérable fut logé dans « une

  1. Libre Parole du 4 septembre 1896.