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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


petite maison, fort coquette d’aspect ; plus d’un petit rentier, en France, s’en accommoderait ». — Essayez maintenant d’attendrir les deux cent mille lecteurs de Drumont, persuadés que le traître est installé dans un confortable cottage, à l’ombre des palmiers ! — « Une barque s’approchera de la rive, enlèvera Dreyfus… Il eût fallu mettre le misérable avec les forçats. »

Rochefort confirma l’existence du Syndicat d’évasion et dénonça aux patriotes « le ministère assez allemand pour laisser s’opérer la fuite de cet autre Bazaine ». Un ingénieur, qui a visité les îles du Salut avant l’arrivée de Dreyfus, s’étonne seulement que le Juif « ne se soit pas évadé depuis longtemps… Simple question d’argent. Dreyfus est riche, il a 25.000 francs de rente ; ses gardiens gagnent 120 francs par mois. » Résisteront-ils à l’or corrupteur ? L’an passé, « une goëlette fut aperçue dans les parages de l’île » ; il fallut qu’une frégate lui donnât la chasse. À quelqu’un (un officier) qui parlait de l’innocence possible du traître : « Tant mieux pour lui, avait dit l’ingénieur, car il ne s’écoulera pas deux ans avant qu’il se sauve ! » Et voici que la prédiction se réalise, au jour marqué, grâce « à la platitude des ministres devant Guillaume II[1] ».

III

Le ministre des Colonies était un homme jeune encore, mais de cette génération vieillie avant l’âge, grossièrement réaliste pour avoir mal compris la leçon des événe-

  1. Intransigeant (antidaté) du 5 septembre 1896.