Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
LA DOUBLE BOUCLE


« Il a réparti d’une façon très réfléchie l’emploi de son temps », résiste, grâce à cette hygiène, au climat meurtrier. Pourtant, « il n’a plus d’âge, le corps courbé, les cheveux blanchis, le visage jaune et creux, la barbe grise, la démarche lasse et lente ».

Toute évasion est impossible. « D’un côté, l’île Saint-Joseph, avec le bourreau ; de l’autre, l’île Royale, avec les forçats : tel est l’immuable horizon du déporté, avec l’immensité de la mer au delà des brisants et des récifs. »

L’auteur de l’article ajoutait que Chautemps, ministre des Colonies en 1895, désireux « d’adoucir le sort du déporté », aurait voulu permettre à Mme Dreyfus de le rejoindre ; il avait demandé avis, par dépêche, au gouverneur de la Guyane, mais la réponse avait été négative.

L’ancien ministre s’affola à la pensée de quelque comité électoral qui lui ferait un crime d’avoir eu la velléité d’être humain, et d’avoir été respectueux de la loi, — donc, vendu aux Juifs et complice du traître. Pendant plusieurs jours, il multiplia les désaveux indignés, menaçant de poursuivre les auteurs « d’une aussi odieuse calomnie[1] ». Il se targua des instructions données à Lebars, le gardien-chef, « face à face

    voulu par un acte mal calculé, qui n’a été selon lui qu’une imprudence, donner ce sentiment de confiance au Gouvernement étranger dont il déroberait ensuite les secrets à notre profit. » Dans toutes les lettres de Dreyfus, lues et relues par les deux Administrations des colonies et de la guerre, il n’y a pas un mot, un seul, qui ait trait à cette fable.

  1. Éclair du 9 septembre 1896 : « Pas un mot de vrai ; démentez énergiquement ; j’examine si je dois poursuivre. » Seconde dépêche : « Les mesures de rigueur que j’ai prises contre Dreyfus et quelques-uns de ses amis expliquent que je sois l’objet d’une aussi odieuse calomnie, dans un article trop bienveillant pour le traître. »