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LA DOUBLE BOUCLE


de sommation pour que le chef de la justice militaire, sous la République, proclame, répare une erreur.

Billot eut cette vision qui le séduisit ; tout gâté qu’il fût, et malheureux plus que jamais, en ce moment, de ses tares secrètes, il eût voulu être l’homme de cette œuvre. D’autre part, il n’a point la certitude que cette œuvre de justice sera aussi facile qu’honorable. Il ne se sent pas la vertu qui accepte les défaites éphémères pour une telle cause. Il lui faut le succès. Il calcule les résistances possibles.

Lesquelles ?… Boisdeffre se refusant à confesser l’erreur, le crime judiciaire… Drumont, Rochefort, ameutant la canaille contre le ministre vendu aux Juifs.

Obstacles misérables. Billot, s’il veut, tient Boisdeffre, Gonse, par leur participation à la forfaiture de Mercier. Entre le chef de l’armée attestant l’innocence d’un soldat, et Drumont, l’ancien associé d’un mouchard, devenu l’avocat d’un traître manifeste, qui n’eût pas choisi ? Drumont, demain, ne sera fort que de la complicité des ministres de la Guerre, des gouvernements, tremblant, l’un après l’autre, devant ses diatribes, capitulant devant ses menaces. La vérité ne sera faible et la justice « sujette à dispute » que par la coalition de tous les pouvoirs publics avec les pires passions de haine et, aussi, avec quelques-unes des plus nobles croyances qui peuvent animer un grand peuple.

Cependant, ces vains obstacles, Billot les transforme en montagnes infranchissables.

Ne serait-il pas sans inquiétude sur lui-même ? Tout son passé est-il pur ? Sa gestion des fonds secrets a-t-elle été irréprochable ? Serait-il le prisonnier de quelque faute ?

Évidemment, quelque chose d’obscur le paralyse, l’effraie.