Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
ESTERHAZY


croulé dans la crapule et dans le crime, sa parole brûlante, sa mimique endiablée, une intensité merveilleuse de vie, la frénésie communicative de cet étonnant comédien continueront à fasciner[1].

En fait, et physiologiquement, c’est un malade, fils de tuberculeux et tuberculeux lui-même[2], et il existe des relations certaines entre les affections du poumon et celles du cerveau. Déjà Hippocrate observe que la phtisie produit parfois « un transport avec délire loquace[3] ». La science contemporaine a établi que l’intoxication tuberculeuse, si elle entraîne rarement la folie caractérisée, est souvent la cause déterminante d’une surexcitation morbide, d’un énervement extrême des facultés intellectuelles ou morales, avec ou sans lésions artificielles[4]. Or, tous les signes pathologiques du double mal apparaissent chez Esterhazy : irritabilité chronique, perversions mentales, besoin exaspéré des femmes, absence presque totale de sommeil. Une race va finir avec lui, cette branche bâtarde des Esterhazy, transportée dans un sol trop léger, appauvrie par des croisements vicieux ou de hasard, alors que la tige mère reste, au contraire, pleine de sève et riche en frondaisons, malgré l’épaisse atmosphère des chancel-

  1. Par exemple, l’auteur de l’article : Qui est Esterhazy ? dans le Daily Telegraph du 25 septembre 1898.
  2. Cass., I, 712, Grenier. — Ses camarades de régiment le savaient atteint de tuberculose. (Figaro du 18 novembre 1897.)
  3. Œuvres d’Hippocrate, trad. de Littré, V, 681.
  4. Griesinger, Traité des maladies mentales, 158, 230, etc. ; Esquirol, Maladies mentales, I, 74 ; Scipion Pinel, Recherches sur quelques points de l’aliénation mentale, 26 ; Hahn, Des Complications qui peuvent se présenter du côté du système nerveux dans la phtisie pulmonaire chronique, 7, 11, 29, 59, 731 ; Lemat, Des Troubles psychiques dans le cours de la phtisie, 9, 14, 23, 30, 33 ; Kéraval, Pratique de la médecine mentale, 437 ; Maurice Letulle, Essai sur la psychologie du phtisique, dans les Archives générales de médecine, 1900.