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LA DOUBLE BOUCLE

Boisdeffre et Gonse comptaient que l’ardeur de la chasse emporterait le jeune officier. Mais Picquart conserva son sang-froid. Il est naturellement précautionné, très prudent. Il le devient davantage au milieu de tant d’embûches qui l’étonnent, sur ce terrain crevassé et glissant.

XIV

Boisdeffre, en 1894, au début, pendant un mois environ, sur la rapide comparaison des écritures et sur les rapports de Du Paty, crut que Dreyfus était coupable. Puis, des doutes lui vinrent, comme à Mercier. Et l’idée, alors, lui eût paru horrible de faire condamner un innocent.

Quand Henry, la Libre Parole, eurent jeté le nom de Dreyfus à la foule et que l’éternelle populace eût condamné le Juif avant qu’il fût jugé, Boisdeffre, comme Mercier, s’habitua à l’idée que l’homme fût immolé, comme un soldat qu’on envoie à la mort.

L’erreur fut sincère d’abord, puis consciente.

Boisdeffre eut-il des remords ? Il eut des inquiétudes. Il vécut avec la pensée que l’affaire n’était pas finie. Il le dit à Gonse, à Sandherr, C’est alors qu’il chargea Picquart de corser le dossier qu’un jour, peut-être, il faudrait ouvrir. Il semble s’être raccroché à l’espoir que des preuves postérieures l’absoudraient, justifieraient le verdict.

Picquart ne les trouva pas, mais, coup sur coup, les preuves éclatantes qu’il y avait un autre traître et que ce traître était l’auteur du bordereau.

Tant que Picquart n’eût pas été conduit d’Esterhazy