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LA DOUBLE BOUCLE

XV

Il est à peine besoin de dire pourquoi Boisdeffre et Gonse repoussèrent les propositions successives de Picquart. Soumettre loyalement aux experts de 1894 le bordereau et l’écriture d’Esterhazy ? Les experts eussent reconnu leur erreur. Mander Esterhazy au ministère de la Guerre ? Il eût pris la fuite, confessant ainsi son crime. L’arrêter ? Il eût avoué. Rechercher l’auteur des révélations de l’Éclair ? Autant proposer tout de suite la mise en accusation de Mercier.

C’est l’évidence que le directeur du journal, s’il est poursuivi en vertu de la dure loi sur l’espionnage, dénoncera la duplicité dont il est victime : « Quoi ! poursuivi à la requête du ministère de la Guerre, pour avoir, à la demande de ses officiers, raconté l’histoire vraie du crime ! » Il nomme l’informateur, — non pas un des Dreyfus, — mais l’un de ceux qui, par leurs fonctions, ont tout connu du procès. Alors, d’un seul coup de pioche, tout l’édifice s’écroule. D’abord, éclate le scandale d’officiers livrant des renseignements secrets à un journal, de poursuivants englobés avec les poursuivis dans un procès retentissant. Et pire encore : ce délit a une raison d’être ; laquelle ?

Le magistrat instructeur interroge : « Les révélations du journal sont-elles exactes ? Une pièce secrète a-t-elle été communiquée aux juges, à l’insu de l’accusé et de la défense ? » Et Picquart attestera la vérité, et les juges de Dreyfus eux-mêmes, qui ignoraient la loi, que Mercier a trompés. Donc, Dreyfus a été illégalement condamné.

Mais cette forfaiture, ensevelie dans l’ombre jus-