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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dive. Il y a quelqu’un (ce n’est pas Du Paty) qui, déjà, une première fois, violant les consignes, a jeté à la presse, aux meutes dévorantes, le nom du Juif comme on leur jette, aujourd’hui, les pièces secrètes.

Pour la seconde fois, par le même procédé, Dreyfus est abîmé, Esterhazy sauvé.

L’opinion, à nouveau convaincue du crime de Dreyfus, c’est le gain commun à Boisdeffre et à Henry. Mais l’ami d’Esterhazy gagne autre chose encore à l’audacieuse partie.

D’abord, il frappe au bon endroit Picquart, qui va être accusé d’avoir dicté l’article. Plus une calomnie est stupide, mieux elle prend. À l’heure même où Picquart va avoir besoin de toutes ses ressources pour décider Billot à agir, le voici atteint dans ses qualités professionnelles, taxé d’indiscrétion ou d’impéritie.

Et, du même coup, Mercier, qui, lui aussi, a lu l’article de l’Éclair[1], Boisdeffre, deviennent les prisonniers d’Henry. Ils l’étaient sans le savoir, puisqu’ils croyaient les preuves du crime anéanties. Maintenant, ils savent qu’il les a gardées contre eux. Et, cet insolent, ils n’osent pas le toucher. Vraiment, ils ne le peuvent pas. Cette impunité accroît sa force. Les grands chefs marcheront jusqu’au bout. Même après sa mort, il les tiendra. Du fond de son cercueil, sa main de squelette est sur leur épaule.

Celui qui a réuni les pièces secrètes pour le procès, celui qui les a conservées après le jugement, celui qui les révèle à la première menace de revision, c’est le même homme.

  1. Procès Zola, I, 167, Mercier. Il ajoute : « Je ne suis absolument pour rien à cet article, je l’atteste sous la foi du serment. »