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LA DOUBLE BOUCLE


informé, car Pauffin avait été récemment au journal[1] ». L’article, en effet, avait été apporté par un rédacteur du Petit Journal, grand ami d’Henry[2].

Deux ans plus tard, un juge d’instruction interroge Guénée sur l’article de l’Éclair : « Je ne veux rien dire. — Pourquoi ? — Parce que je me considère comme lié par le secret professionnel[3]. » Il tenait presque tous les secrets d’Henry, qui le payait grassement[4].

La peur de la revision suffit à expliquer que Boisdeffre ait repoussé l’enquête proposée par Picquart ; elle ne suffirait pas à expliquer qu’il ait, lui-même, révélé l’existence de ces pièces secrètes qu’il avait, lui aussi, ordonné de détruire, et qu’il reprocha à Picquart d’avoir montrées à Billot. Seulement, il sait d’où vient le coup qui le frappe, qui l’enfonce.

Aujourd’hui, il arrache Esterhazy à Picquart ; demain, il enverra Picquart en Afrique.

Un immense engrenage, fait de lâchetés qui s’enchaînent, c’est toute cette histoire.

  1. Instr. Fabre, 102 ; Cass., I, 166, Picquart.
  2. Une instruction tardive fut ordonnée contre l’Éclair, en vertu de la loi sur l’espionnage, le 28 août 1899 ; Lissajoux, rédacteur au Petit Journal, fut arrêté le 29, et des perquisitions faites chez Sabatier, directeur, et Montorgueil, rédacteur de l’Éclair. Les perquisitions (après trois années) ne donnèrent aucun résultat. La loi d’amnistie interrompit les poursuites commencées. — Rennes, I, 454, Picquart : « Je sais qu’Henry était au mieux avec le Petit Journal. » Il était également « au mieux » avec l’Éclair qui, le 1er novembre 1894, avait, en même temps que la Libre Parole, livré au public le nom de Dreyfus. Un rédacteur de l’Éclair avoua, par la suite, « que le journal avait été prévenu par une personnalité qui avait assisté à toutes les péripéties du drame. Cette note fut publiée à dessein et pour forcer la main à ceux qui cherchaient le moyen, par crainte du scandale, de simplement envoyer le traître se faire pendre ailleurs. » (Éclair du 9 septembre 1898.)
  3. Cass., I, 728, Guénée.
  4. Ibid., 287, Bertulus. (Rapport du commissaire Bernard.)