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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

C’était le plus sage. Tôt ou tard, il faudra en venir là, Mais cela ne faisait l’affaire ni d’Henry, ni de Boisdeffre. En fuyant, Esterhazy avouait. Nulle démonstration plus éclatante. Scheurer aura vaincu, sans même avoir combattu.

Les nerfs dominent Esterhazy, las, usé, qui n’a plus rien à attendre de la vie. Les autres, bien lotis, dans les honneurs, ont tout à perdre. Ils ne se résignent pas si vite à la défaite. Henry, surtout, garde son sang-froid.

On l’entend qui sermonne Esterhazy, le remonte, lui promet le concours des grands chefs. L’ayant, une première fois, couvert, ils sont à sa merci. Sa perte, c’est leur perte. Ils ont partie liée avec lui, sans qu’il soit besoin d’un contrat. Et ces hommes qu’il tient, ils tiennent eux-mêmes les maîtres de l’opinion et du pouvoir, Billot par ses tares[1], Méline par Billot, Faure par Drumont[2], Drumont par ses accointances avec Esterhazy[3]. Et l’on achètera la presse[4]. L’armée, les Chambres, le peuple, suivront le mouvement.

Quels que fussent son mépris des généraux, sa haine de l’armée et de « ce peuple de femmes saoules[5] », Esterhazy restait sceptique à ces assurances. Que la

  1. C’est la version constante d’Henry : « Le soir, dit Esterhazy, je reçus un mot d’Henry me disant d’aller voir Guénée, qui demeurait au diable, rue Marie-Louise, derrière le canal il devait me donner des renseignements complémentaires sur les tripotages financiers de Billot, que l’État-Major visait toujours. » (Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 94.) — Il précise, dans sa déposition du 4 mars 1900 : « Les dettes de Billot, l’affaire de la banque de la rue Turbigo, les billets en souffrance chez les marchands de fer de la rue de la Roquette, ceux en pension chez un homme d’affaires de la rue de Londres, les sommes qu’il s’est fait remettre sur les fonds secrets. »
  2. Voir p. 199.
  3. Voir p. 385.
  4. C’est le propos de Bertin à Fernand Scheurer. (Voir p. 558.)
  5. Lettre à Mme de Boulancy. (Voir p. 36.)