II
À ce moment précis, qu’est-ce que Scheurer a fait savoir à Billot ? Simplement qu’il est convaincu de l’innocence de Dreyfus et qu’il est résolu de poursuivre la revision du procès. Par quels moyens, par quelles preuves ? Scheurer n’en a rien dit. Le nom d’Esterhazy, il ne l’a prononcé à personne. Mais les agents d’Henry, en juin, ont suivi Picquart chez Leblois, plus tard Leblois chez le vice-président du Sénat.
Imaginez Scheurer sur une autre piste. Trompé par de faux renseignements, c’est un autre officier, qu’il va désigner. Le ministre de la Guerre, le chef de l’État-Major en ont connaissance. Vont-ils s’émouvoir ? Ils laisseront le maladroit s’embourber ; ils ne feront pas à l’innocent l’injure de croire qu’à la première nouvelle d’un tel soupçon, le plus horrible qui soit, il prendra la fuite[1].
Si Dreyfus est l’auteur du bordereau, qu’importe que Scheurer accuse ou non Esterhazy d’être le traître ? Tant mieux au contraire ; car l’effondrement de l’accusation, ce sera la fin d’une détestable légende. Mais tous ces chefs s’émeuvent, s’effarent : pourquoi ?
La fièvre n’atteint pas, chez tous ces hommes, la même intensité. Le pouls de Billot ne bat pas aussi vite que celui de Boisdeffre. En effet, Billot, s’il croit Dreyfus
- ↑ Rennes, I, 325 : « Demange : Pourquoi un homme innocent comme Esterhazy avait-il besoin que l’on vînt à son secours ? — Il est certain, répond Roget, que je ne l’aurais pas fait. »