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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Comme Du Paty était réputé l’auteur principal du procès de 1894, il était naturel qu’on le consultât à l’heure où la grande œuvre menaçait ruine. Henry, toujours modeste, s’est employé à lui faire attribuer cette gloire ; il se plaisait dans l’ombre, fuyait, prudemment, les premiers plans, la lumière crue de la rampe. Picquart, l’an passé, a dédaigné, sauf sur une question d’écriture, de se renseigner auprès de Du Paty. Henry, au contraire, ne demande qu’à s’effacer devant lui. Du Paty, flatté dans sa vanité, glissa au piège[1].

Il n’a pas été sans inquiétude sur la condamnation de Dreyfus ; mais Boisdeffre l’a rassuré. D’autre part, il ne connaît pas Esterhazy ; il ne s’est rencontré que deux fois avec lui, en Afrique, au cours de l’expédition de Tunisie, sans lui parler, il y a dix-sept ans[2].

Dès ce premier conciliabule (avec Gonse, Henry et Lauth)[3], il fut mis vite au fait. Ce fut Gonse lui-même qui, s’adressant directement à Du Paty, comme au futur sauveur, lui exposa l’objet de la réunion, le « lança[4] » Il révéla, partiellement, « la campagne entreprise, depuis dix-huit mois, pour substituer Esterhazy à Dreyfus[5] ». Sans doute, Esterhazy, de grande famille et solide soldat, n’est pas sans reproche ; il est

  1. Cass., II, 178, Du Paty : « J’étais un des plus intéressés à la manifestation de la vérité. »
  2. Cass., I, 444, 416 ; Instr. Tavernier (6 juin 1899), Du Paty. — De même Esterhazy (Cass., I, 579).
  3. Lauth (Cass., I, 423) dit « qu’il n’y eut jamais de réunion au sens propre du mot » : Affirmation qui est démentie par Du Paty (Cass., II, 190 ; Instr. Tavernier) et par Gonse lui-même (Cass., II, 197 ; note du 10 septembre 1898 a l’enquête Renouard). — Lauth n’assista pas à la réunion du 22 octobre, la plus importante, celle où furent écrites les lettres anonymes.
  4. Cass., II, 31, 190 ; Instr. Tavernier, 6 juin 1898, Du Paty.
  5. Instr. Tavernier, Du Paty. — Il dit qu’il n’avait rien su jusqu’alors des événements de l’année précédente.