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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

La lettre est signée Espérance[1]. Déjà, dans l’un de ses faux, Henry avait fait usage de la même signature en italien. Speranza, en 1896, pressait Picquart de revenir pour rétablir l’œuvre compromise par son départ ; en 1897, Espérance avertit Esterhazy que « son nom va être l’objet d’un grand scandale ». La lettre est rédigée dans le même jargon que les autres faux d’Henry, également révélatrice de son origine par le style, la précision de certains renseignements et la grossièreté des maladresses intentionnelles. Les noms de Dreyfus et de Picquart y sont mal orthographiés ; Picquart a acheté à un sous-officier, à Rouen, des spécimens de l’écriture d’Esterhazy ; il les a remis, avant de partir pour le Tonkin, à la famille du condamné, qui les publiera ; « on compte ainsi affoler le commandant, qui s’enfuira en Hongrie, chez ses parents ; cela indiquera qu’il est coupable[2] ».

  1. À la première audience de son procès (123), Esterhazy dit que la lettre était signée Speranza ; à la Cour de cassation (I, 577), il dit qu’elle était signée Espérance, ce qui est exact. Roget, qui répète la version d’Henry, affirme que la lettre fut écrite, le 20 octobre, par Du Paty (Cass., I, 103) ; il en donne pour preuve la prétendue démarche de Du Paty, le 16 octobre, au bureau des Renseignements. De même Cuignet (I, 346). Or, l’adresse d’Esterhazy fut demandée par Henry. — Du Paty (Instr. Tavernier) dit qu’il vit la lettre, pour la première fois, quand Esterhazy la lui montra.
  2. Voici le texte complet de cette lettre : « Votre nom va être l’objet d’un grand scandale. La famille Dreffus va vous accuser publiquement comme étant l’auteur de l’écrit qui servit de base au procès Dreffus. Cette famille possède de nombreux modèles de votre écriture pour servir de points d’examen. C’est un colonel qui était au ministère l’année dernière, M. Picart, qui a remis les papiers à la famille Dreffus. Ce monsieur est maintenant parti pour le Tonkin, je crois. La famille Dreffus compte vous affoler en publiant votre écriture dans les journaux, et que vous vous enfuirez en Hongrie chez vos parents. Cela indiquera que vous êtes le coupable ; et alors on demandera la revision du procès pour proclamer l’innocence