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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à une inflexion de voix[1]. Pour exciter son amour-propre, il suffira que Boisdeffre regrette, devant lui, l’obstination de Billot à laisser aller à vau-l’eau le vaisseau où ils sont embarqués ; « le ministre laisse sacrifier Esterhazy, innocent, au Juif coupable, cent fois coupable[2]. »

Les ministres passent ; combien de ministres ont déjà passé ! Mais Boisdeffre, inamovible, survit à tous ; il est l’avenir. Du Paty se dévouera.

S’il renâcle, se dérobe, à quoi bon ? Qu’Esterhazy l’emporte, il aura manqué de courage à l’heure difficile, celle où les services comptent double[3]. Et si c’est Dreyfus, il est ruiné ; sa carrière, si brillante, est à jamais compromise, finie.

Boisdeffre, avec sa réserve habituelle (mais ses moindres indications n’en ont que plus de poids), donna à entendre qu’il conviendrait d’entrer en relations avec Esterhazy, soit par son beau-frère, le marquis de Nettancourt, soit par le capitaine Bergougnioux[4].

  1. Cass., II, 32, Du Paty : « J’ai marché droit au but, énergiquement, de bonne foi, sur des incitations qui, pour des officiers, sont des ordres. » Et encore : « J’ai compris ce que parler veut dire. On m’a dit : « On veut que nous le prévenions, je ne puis le faire. Qui se dévouera ? » C’est alors que je me suis sacrifié. » (191.) Ailleurs : « J’ai compris le jeu des physionomies. » (196.) — Ces incitations, qui sont des ordres, on a vu que Picquart les dénonce comme une des hontes de l’État-Major.
  2. Instr. Tavernier, 13 juillet 1899, Du Paty : « M. le général de Boisdeffre reconnaît qu’en ma présence il a affirmé hautement, à l’automne de 1897, l’innocence d’Esterhazy, son inébranlable conviction de la culpabilité de Dreyfus et son indignation de voir qu’on voulait substituer Esterhazy à ce dernier. »
  3. Cass., II, 201, Du Paty : « Je sentais que l’on serait content que j’agisse. »
  4. Cass., II, 191, Du Paty (Enq. Renouard). — Cass., I, 559, Boisdeffre : « Je me rappelle que le colonel Du Paty me fit part des inquiétudes de M. de Nettancourt et j’ai dû certaine-