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LA COLLUSION


qu’il se résigne à leur conter, à sa manière, l’aventure de cet officier, lui aussi, circonvenu et trompé par les coreligionnaires, du condamné.

Et il accepte la besogne, plus honteuse encore, de berner Scheurer, son ami de trente ans, de le faire patienter, sous de mensongères promesses, de gagner ainsi le temps nécessaire pour corrompre l’opinion.

Billot, pour entretenir Scheurer, l’avait conduit dans un salon « d’où l’on ne serait pas entendu » et dont il ferma la porte à clef[1] ; vers la fin de la conversation seulement, il le mena dans son cabinet[2]. Après quelque préambule où Scheurer vit devant lui un nouveau Billot qu’il ne connaissait pas encore, bien qu’on le lui eût souvent décrit, « faux et fourbe, à l’œil fuyant[3] », il lui fit le récit de ses longues recherches : « J’ai appris enfin qu’un officier supérieur a été mis en non-activité pour infirmités temporaires… — Par moi. — Oui, par toi. » Billot ne bronche pas ; Scheurer nomme Esterhazy ; le ministre reste impassible ; puis, comme le sénateur lui montre un fac-similé du bordereau : « C’est donc la pièce elle-même que tu as ? » observe Billot, faisant la bête.

La vieille amitié croule dans une seconde.

La conversation continue : « Nous avons, dit Billot,

  1. Je suis pas à pas le récit de Scheurer dans ses Mémoires ; il l’a résumé dans ses dépositions. (Procès Esterhazy, 154 ; Procès Zola, I, 113 ; Instr. Fabre, 109.) — Ce récit est, sommairement, confirmé par Billot à Rennes (I, 168).
  2. Rennes, I, 168, Billot : « Il a passé deux heures à ma table, deux heures dans la salle de billard, une heure dans mon cabinet. » — Procès Esterhazy, 151, Scheurer : « La conversation dura quatre heures. »
  3. Billot dit « qu’au début de la conversation, il tint ce langage : « Je suis ministre de la Guerre. Le garde des Sceaux, seul, peut être saisi d’une demande de revision. Dans ces conditions, incompétent moi-même, je ne pourrais pas en accepter le poids. » (I, 168.)