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LA COLLUSION


cette affaire bizarre dont s’était occupée la police, Henry, comme bien d’autres, la connaissait[1]. Il lui parut ingénieux et commode de la remettre en scène à son profit et au plus grand détriment à la fois de Du Paty et de Picquart. D’abord, toutes les communications qu’Henry a faites à Esterhazy, celui-ci les attribuera à la dame voilée, et, comme tout le monde, depuis le dernier rustaud de la Basse-Bretagne jusqu’au Président de la République, acceptera, les yeux fermés, la divertissante histoire, ou fera semblant de ne pas la mettre en doute, les soupçons ne s’égareront pas sur lui. Puis, quand l’opinion sera revenue de son premier affolement de crédulité romanesque, c’est Du Paty qui sera accusé d’avoir caché sous les jupes de l’inconnue son pantalon rouge et ses bottes éperonnées, parce qu’il est notoirement un détraqué et parce que les amis de Picquart ne manqueront pas de raconter l’aventure similaire où l’extravagant personnage a joué autrefois un rôle[2]. Plus tard, c’est la marquise Du Paty

    terminer cette affaire ». Davout, en effet, écrivit par la suite à Du Paty : « L’impression que j’ai gardée de mon entrevue avec M. de Comminges a été si loin de vous être défavorable que je vous ai, depuis, servi de témoin pour votre mariage et présenté au Cercle de l’Union. » (8 février 1898.) Cette lettre fut publiée dans les journaux, avec l’autorisation de Davout, après avoir été communiquée par Du Paty à Billot et à Boisdeffre.

  1. Picquart la connut par la comtesse de Comminges (Cass., I, 213), Henry par la police. Du Paty dit qu’il la leur raconta lui-même (à sa manière) « comme exemple d’intervention de la police dans les affaires d’ordre privé » (Instr. Tavernier, 15 juillet 1899).
  2. C’est ce qui arriva en effet. Le Préfet de police communiqua à Barthou le dossier de l’affaire Du Paty-Comminges ; Barthou en donna connaissance à Méline, à Billot et à Milliard, « parce qu’il paraissait jeter une certaine lumière sur la remise du document libérateur à Esterhazy dans les mêmes circonstances ». (Cass., I, 337, Barthou) Picquart, lui aussi, tomba en plein au piège d’Henry : « Dès que j’ai entendu parler d’une