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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qui sera dénoncée comme la dame voilée par Esterhazy lui-même[1]. Enfin, après Du Paty, ou en même temps que lui, Picquart sera atteint à son tour, quand le père Du Lac signalera à Boisdeffre l’une de ses pénitentes, celle dont il connaît l’amitié pour l’ancien chef du bureau des Renseignements et les tristesses conjugales[2]. Et, tout ce temps encore, Henry, à son ordinaire, restera dans l’ombre.

Esterhazy adressa donc une seconde lettre à Félix Faure[3]. Il y constate que « ni le chef de l’État ni le chef de l’armée ne lui ont fait répondre un mot d’appui ou de consolation » ; apparemment, des « considérations de politique parlementaire les en empêchent ». Ainsi, « les services rendus depuis cent soixante ans à la France par ses ancêtres, le sang versé, la mémoire des braves gens tués à l’ennemi, tout cela serait payé d’infamie pour servir de pareilles combinaisons ». Non, cela ne sera pas. « On l’accule à user de tous les

    dame voilée, j’ai pensé à Du Paty, et lorsque j’ai vu que les rendez-vous se donnaient près du pont Alexandre-III, je n’ai plus eu aucun doute, Du Paty ayant organisé une scène de dame voilée au Cours-la-Reine, en 1892. » (Cass., I, 213.) Ce furent ensuite Mlle de Comminges, qui raconta l’aventure à l’enquête de Bertulus, et Leblois, qui la révéla publiquement au procès de Zola. (I, 102.) Bientôt, pour la presse du monde entier, la dame voilée fut Du Paty ; des centaines de dessins, de caricatures, le montrèrent sous ce déguisement saugrenu. Avec Zola, Ranc, Clemenceau, Jaurès, Yves Guyot, etc., je suivis alors (et je m’en accuse) l’erreur commune (Vers la Justice, les faussaires, 1re série). Il n’y a, d’ailleurs, dans toute cette série d’articles, qu’à remplacer le nom de Du Paty par celui d’Henry. L’État-Major, presque tout entier, accusa ou lâcha Du Paty.

  1. Cass., II, 182, Cons. d’enq., séance du 24 avril 1898, Esterhazy : « Du Paty, quelques jours après, arriva avec une dame voilée au pont Alexandre. » Esterhazy fit le même récit à Tézenas.
  2. Voir p. 574.
  3. Procès Esterhazy, 125, Esterhazy : « je prévins le ministre, le Président de la République. » (Cass., I, 582 ; Dépos. à Londres.)