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LA COLLUSION


moyens en son pouvoir », « à faire arme de tout dans cette lutte désespérée, où tous les appuis lui manquent et où sa cervelle éclate ». Soit ! En conséquence, il prévient le Président du nouveau secours que vient de lui porter « la femme généreuse » qui le protège. Cette pièce volée, si grave, quelle est-elle ? Il se garde de le dire, bien qu’Henry lui eût déjà décrit toutes les pièces de ses dossiers, y compris ses propres faux[1] ; mais les menaces vagues, obscures, sont terrifiantes entre toutes : « Si je n’obtiens ni appui ni justice, et si mon nom vient à être prononcé, cette photographie qui est aujourd’hui en lieu sûr, à l’étranger, sera immédiatement publiée[2]. »

Ce même jour[3], appuyant l’audacieux, la Libre Parole racontait qu’« un haut fonctionnaire du ministère de la Guerre avait livré des documents à Scheurer ».

Nulle tentative d’intimidation mieux caractérisée[4]. Une telle lettre ne comporte qu’une réponse : un mandat d’arrêt porté par deux gendarmes[5]. Félix Faure (affolé, sans doute, par d’autres menaces, plus précises et plus personnelles) capitula sur l’heure.

Non seulement Esterhazy n’est pas arrêté, ni interrogé, ni même requis de restituer la pièce secrète qu’il prétend détenir, mais le Président n’ose pas faire connaître à ses ministres civils, au garde des Sceaux directement intéressé, le chantage dont il est l’objet. Il a la

  1. Dép. à Londres, 26 fév. : « Reinach, dans une brochure absolument stupide, s’étonne que j’aie connu le faux Panizzardi ; mais je connaissais, sinon de vue, du moins pour en avoir entendu parler, toutes les pièces du dossier. »
  2. Lettre du 31 octobre 1897 (Cass., III, 473).
  3. Libre Parole du 31, article signé : Ct Z.
  4. Article 179 du Code pénal.
  5. Esterhazy le dit lui-même (Cass., I, 583 ; Dépos. à Londres, 26 février 1900).