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LA COLLUSION

Quel « fait nouveau » invoquer ? La seule écriture d’Esterhazy ? Mais combien les expertises sont discréditées ! Scheurer eût voulu exposer tout ce qu’il savait de l’enquête de Picquart, et c’était peu de chose ; il ne connaissait même pas le petit bleu. Mais, ici, intervenait son geôlier moral, Leblois. Tantôt il l’autorise à parler ; tantôt il s’y refuse ; nommer seulement son ami, c’est le perdre. Il a consulté un des maîtres du barreau, Du Buit, qui lui a recommandé la prudence : « Vous allez faire crosser votre colonel. » Un jour, il oblige Scheurer à annoncer (prématurément) qu’une requête va être déposée ; le lendemain, il jure que c’est la dernière chose à faire ; le surlendemain, il accepte de collaborer avec l’avocat Perouze. En attendant, il conseille une campagne de presse ; mais avec quels éléments ?

Dans cet embarras, j’ouvris un autre avis : demander, non pas la revision, mais l’annulation du jugement ; invoquer la communication des pièces secrètes, devenue de notoriété publique ; au besoin, à la tribune des deux Chambres, défier Billot et Méline, qui en étaient convenus avec Scheurer, de nier cette violation flagrante de la loi. D’abord, le Droit ; le reste viendra par surcroît. Et l’émotion, dans le pays, sera moindre.

Pour Demange, il eût voulu que Scheurer, au Sénat, interpellât le gouvernement, racontât à la tribune le procès de 1894, dénonçât publiquement le véritable traître. Leblois se récria : si Scheurer dénonce Esterhazy, Billot en conclura qu’il a été informé par Picquart. La bouche close par Leblois, Scheurer ne put même nommer Esterhazy à Demange.

Il ne le nomma pas davantage à Mathieu Dreyfus avec lequel il s’entretint, malgré l’opposition de Leblois.

Depuis quelques semaines, j’étais entré en relations