Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/696

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
686
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Sandherr le lui avait seulement montré et il l’avait sottement appliqué à Dreyfus dans le commentaire auquel Henry substitua la notice biographique ; mais il croyait toujours que le verdict des juges avait été décidé par sa prose et, après en avoir tiré vanité et profit, il en éprouvait des inquiétudes, maintenant que la communication des pièces secrètes, transmises par lui, devenait criminelle. On le tenait par là. Pour les photographies de la pièce, il ne les a vues qu’une fois, le jour où Gonse les lui a montrées, en présence d’Henry, quand ils discutèrent la dernière lettre d’Esterhazy à Félix Faure[1].

Il n’en était pas de même d’Henry, qui avait constitué, reconstitué, nourri, trié, gardé le dossier secret, et qui, récemment, se l’était fait rendre par Gonse ; pour les photographies de la pièce « Canaille de D… », cet homme exact n’avait jamais su ou voulu en préciser le nombre[2]. Rien de plus facile pour lui que d’en distraire une, de l’emporter. À la réflexion, il lui avait, sans doute, paru trop dangereux de faire jouer au bordereau annoté ou à la lettre de l’Empereur allemand le rôle de document libérateur. Ni Du Paty ni Picquart ne connaissaient ces pièces mystérieuses. Il lui suffisait d’avoir donné à entendre aux généraux qu’Esterhazy était informé. Il arrêta donc son choix sur la pièce que Du Paty lui-même avait désignée à Gonse et, l’ayant mise sous enveloppe, il fit écrire par Esterhazy le texte d’une lettre de restitution à l’adresse

  1. Cass., I, 451 ; Rennes, III, 504 ; Instr. Tavernier, 17 juin, etc., Du Paty. — Roget imagine que Du Paty a conservé, du procès de 1894, la photographie de la pièce. (Cass., I, 101.) Comment l’aurait-il conservée, puisqu’il n’en avait jamais eu une seule à sa disposition ? Roget tient cette version d’Henry.
  2. Procès Zola, I, 376, Henry : « Sandherr (en 1894) en fit faire deux ou trois photographies, — je ne me souviens plus exactement du nombre, — dans tous les cas, deux ou trois… »