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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Le même soir, Esterhazy débita sa fable à Du Paty : « Il a suivi ses conseils ; lui-même, la veille, il a remis son talisman au cabinet du ministre. » Du Paty avait compris que la pièce avait été rendue seulement dans la matinée ; il le dit à Esterhazy qui parut embarrassé, nia, essaya d’obtenir des renseignements sur la topographie du cabinet de service[1].

Par la suite, Esterhazy changea deux fois de version, rien que dans ses conversations avec Du Paty. Il lui conta qu’il avait déposé le pli dans la boîte aux lettres du ministère[2], comme une lettre quelconque ; puis, qu’il l’avait fait porter[3].

Du Paty, qui commençait à se méfier d’Esterhazy, interrogea Henry : « C’est bien Esterhazy, affirma Henry, qui a rapporté la pièce : chapeau melon, pardessus à collet relevé. » Ensuite, il remplaça le petit chapeau par un chapeau à haute forme. Enfin, il dit qu’il faisait une enquête[4].

On ne compte pas les versions contradictoires d’Esterhazy. La plus ancienne, c’est qu’il était allé chercher le document à Londres, où il l’avait mis en sûreté ; il se contenta ensuite de l’en avoir fait revenir[5]. Plus

  1. Instr. Tavernier, 21 juillet, Du Paty.
  2. De même, dans sa déposition à Londres. « C’est pour cela, aurait-il dit à Du Paty, que le ministre ne l’a eu que le lendemain. » Si Esterhazy dit vrai, il en résulte que le récit de Roget (l’enquête, etc.) est mensonger. Même observation pour la variante suivante. Et pourquoi dans la boîte aux lettres ? Pourquoi pas chez le concierge ? Sans doute, il dormait !
  3. Instr. Tavernier, 27 juillet. Du Paty.
  4. Ibid.
  5. Cass., II, 97, (Enq. Pellieux), Esterhazy. — De même, à l’instruction Ravary, moins le voyage à Londres ; il a fait seulement revenir d’Angleterre la pièce mise en lieu sûr (II, 108). À son procès (194), il dit seulement qu’il restitua le document, sans en savoir le contenu. Il avait été plus explicite avec Ravary : « Cette lettre commençait par les mots : « Je