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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pondaient fréquemment[1]. Ils se retrouvèrent ensuite à Paris et étaient voisins dans la Marne.

Pogny, village natal d’Henry, où il allait chasser, pendant ses congés d’automne, chez son père, grimpe sur la côte basse qui longe le canal de la Marne au Rhin. À mi-route de Sainte-Menehould, non loin des plaines glorieuses de Valmy, le château-ferme d’Esterhazy, Dommartin-la-Planchette. Ce terroir champenois, tant foulé par les invasions étrangères, glacial l’hiver, sous la bise qui souffle des défilés de l’Argonne, brûlé comme un Sahara pendant les mois d’été, blanc d’une poussière crayeuse, de la groise aveuglante, est peuplé de gens robustes, mais tristes comme leur sol déshérité, cultivateurs et petits bourgeois, qui s’épient les uns les autres et observent tout, en silence, sans en penser moins. On y connut vite les rapports d’Henry avec le châtelain de Dommartin. Henry, fils de ses œuvres, protégé de Miribel, parent, par sa mère, du général Chanoine, qui était aussi du pays, comme un autre officier d’État-Major, l’homme de confiance de Boisdeffre, Pauffin (de Saint-Morel), était l’orgueil du village de Pogny. On racontait ses campagnes, ses deux évasions pendant la guerre[2], ses exploits en Afrique et au Tonkin[3]. Au contraire, à Dommartin, Esterhazy était peu respecté. Les désordres de sa vie étaient connus ; il avait tenu d’étranges propos ; on le savait grossier, mauvais payeur, processif. Cependant on le craignait, tant il faisait sonner ses relations de famille, sa prétendue

  1. Dép. à Londres 1er  mars 1900.
  2. Il avait été fait prisonnier deux fois, le 11 octobre 1870, à Orléans, et le 11er  février 1871, près de Pontarlier ; chaque fois, il s’était échappé quelques jours après.
  3. Il avait été cité à l’ordre du jour, à la suite du combat de Yen-Gia.