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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pour le portefeuille ». Millerand : « Proposez-vous à la Chambre d’user de son droit ? »

C’était toute la question : dans le doute sur le droit des ministres, Ribot conseillait-il à la Chambre de provoquer elle-même la mise en accusation ?

Ribot se tut. Et de même Dupuy, Lebret ; obstinément, ils refusèrent de soutenir leur propre motion. Tout ce qu’on put tirer de Lebret, ce fut « que la procédure suivie par le gouvernement était régulière ».

Lasies lui avait crié : « Dites que vous ne voulez pas commettre une mauvaise action et donnez votre démission. »

La majorité républicaine était fort perplexe, tentée de frapper la réaction à la tête, dans Mercier, et troublée par l’intervention de Ribot. Nulle direction : Bourgeois absent, Brisson et Poincaré muets, Barthou à la recherche du vent[1]. Un des hommes les moins surs de la Gauche, Pourquery de Boisserin, député radical d’Avignon, pour qui votaient les royalistes et les cléricaux, trouva la solution la plus propre à tirer les députés d’embarras : que la proposition du gouvernement était « irrégulière, inattendue », et qu’en tout cas il fallait surseoir à statuer, après le conseil de guerre.

Cela conciliait les scrupules, les peurs, des inquiétudes honorables et les pires desseins.

Pourquery, qui n’avait pas objecté aux poursuites contre Picquart, fit valoir un argument qui toucha beaucoup : que Mercier serait, à Rennes, l’un des princi-

  1. Clemenceau leur reprocha leur silence : « Où étiez-vous, Brisson ? Quelle heure avez-vous laissé passer ? Que faisaient les radicaux ?… Et vous, Poincaré, et vous, Barthou, dreyfusards de la onzième heure, regrettez-vous déjà le geste de courage qui vous est imprudemment échappé ? Rien. Rien. Pas un son n’est sorti de tant de poitrines éloquentes ! » (Aurore du 6 juin 1899.)